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dimanche 13 août 2023

Léon TOLSTOÏ « Résurrection »

 


Étrangement Léon TOLSTOÏ (1828-1910) a écrit peu de romans. Si nombre de ses nouvelles pourraient aujourd’hui, par leur ampleur, figurer au nombre de ce format, seulement une poignée se voit en être attribuée, parmi lesquels « Résurrection ».

« Résurrection » est un roman ample, typiquement russe, avec ses intrigues, ses longues séquences d’amour, sa pléthore de personnages, son contexte historique. La Maslova, Katucha, est une prostituée condamnée pour meurtre suite à un procès irrégulier conté par l’auteur, gâché par les jurés dont faisait partie Nekhludov, un homme qui a aimé Katucha 10 ans plus tôt. Il va tout mettre en œuvre pour la faire reconnaître comme innocente et la sauver du bagne.

Comme souvent chez TOLSTOÏ, on tergiverse, on souffre mentalement, on se flagelle beaucoup. Car ce Nekhludov, touché par la grâce, cherche la rédemption en vue d’une purification pour donner un sens à sa vie. Après des années de débauche, il veut se racheter et faire le bien sur terre. Avec une foi touchant au mysticisme, son but est de distribuer le bonheur, non sans un discours anarchiste, puisqu’il veut entre autres, lui le barine, rendre ses moujiks propriétaires de ses propres terres. « Le projet de Nekhludov partait d’un désir de renoncer à son intérêt personnel pour l’intérêt des autres ».

Vous l’aurez aisément compris, Nekhludov est le double de TOLSTOÏ, dont la volonté de créer une religion nouvelle et mystique, le Tolstoïsme, son « anarcho-christianisme » à son paroxysme en cette fin de XIXe siècle. Nous sommes alors en 1899, il termine « Résurrection » à la toute fin de cette année-là. Nekhludov est son moi propre qu’il affirme, scrutant ses personnages de manière psychologique voire psychanalytique. Katucha est une femme qui s’enivre, qui se salit physiquement comme moralement, qui sait charmer pour obtenir ce qu’elle veut, et son double à lui, l’auteur, cherche à la replacer sur le droit chemin, celui de la rédemption, et donc de la Résurrection. Nekhludov se sacrifie pour la Maslova, veut l’épouser, ce qu’elle refuse, la suit lors de ses voyages entre deux détentions, le but ultime étant une déportation en Sibérie.

Nekhludov, dans ce besoin de produire le bien, est un être irritant car surenchérissant dans une bienveillance touchant à l’envahissement. Cherchant à tout prix à se purifier, il semble vouloir purifier de ce fait la terre entière. Mais ne vous méprenez pas pour autant : « Résurrection » est un très grand roman de TOLSTOÏ. Oui, malgré tout ce que je viens de décrire, cette histoire est bouleversante, notamment par la description des conditions de détention des prisonniers russes sous le tsarisme, mais pas seulement. L’étude des personnages est poussée, la doctrine chrétienne est finement déployée même si elle tourne à une sorte de caricature du bien « à tout prix ». Quant à la morale anarchiste, elle est parfaitement en place, elle représente les revendications et les postures de TOLSTOÏ à cette époque.

La traduction que j’ai lue est signée Teodor de WYZEWA, mais comme vous le savez, rien n’est simple dans les retranscriptions de la littérature russe classique. En effet, nous trouvons plusieurs traces de traductions de ce texte sous cette signature, mais différentes… Il en existe au moins deux, pas tout à fait similaires, et surtout le texte n’est pas découpé de la même façon pour les chapitres, les noms des personnages sont également modernisés (ce qui ne cesse d’ailleurs d’évoluer dans les traductions de littérature russe), de quoi devenir chèvre. J’ai pour ma part utilisé la version disponible gratuitement sur Wikisource.

« Résurrection » est de ces classiques amples, forts, malgré des longueurs (600 pages tout de même), de nombreuses redites, mais il vaut largement l’expérience de lecture. Il est une fresque que l’on a du mal à lâcher, un roman d’une grande profondeur, sans doute novateur pour son époque par ses thèmes et en tout cas pour la manière de les présenter. Et au risque d’en choquer, je rajouterai qu’il en ressort un ton particulièrement Dostoïevskien (dans le mysticisme, la souffrance, les éléments féminins, les contradictions, la lutte pour Dieu ou contre son absence, etc.), et c’est sans nul doute le plus Dostoïevskien des textes de TOLSTOÏ, il est d’une grande puissance, d’un grand aboutissement, il me paraît l’un des chaînons incontournables de l’œuvre.

 (Warren Bismuth)

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