Il serait indécent de vous présenter Nikolaï GOGOL (1809-1852), figure tutélaire de la littérature russe, souvent copié mais rarement égalé. Au-delà de cette notoriété, GOGOL a peut-être créé un style, une ambiance, la littérature fantastique, pas en tant qu’œuvre d’anticipation ou de science fiction, mais bien d’univers « extra-humain » engendré par les croyances, les rites, d’où les visions parfois surnaturelles. Car le diable est omniprésent dans ces nouvelles écrites entre 1831 et 1835.
« Les nouvelles ukrainiennes » regroupent deux recueils : « Les veillées du hameaux I & II » et « Mirgorod », et dépeignent avec force détails la vie des paysans d’Ukraine au XIXe siècle, avec les costumes, le folklore local, les croyances donc, et la terreur face au diable. La première nouvelle de 1831 (l’auteur n’a alors que 22 ans), « La foire de Sorotchintsy » est à elle seule un petit chef d’œuvre et pourrait être une synthèse de l’œuvre future : scènes absurdes, drôlerie, séquences vaudevillesques, action sans cesse en mouvement, fort aspect théâtral, grotesque et burlesque.
GOGOL n’hésite pas à prendre son lectorat à témoin tout en dessinant le folklore rural de son peuple ukrainien, ces marchés fastes où des fermiers cherchent des hommes à marier pour leurs filles. Surgissent de nulle part des cosaques, des zaporogues, toute l’Ukraine prête à se battre pour sa liberté, au milieu de sorcières, de personnages décalés, fous, tonitruants et agités.
Nouvelles en mouvement, elles pétillent par leurs scènes folles, leurs couleurs et leur exubérance. C’est tout cela GOGOL. Le premier recueil, présenté en deux volets distincts « Les veillées du hameau I & II » renferme huit nouvelles, caractéristiques de l’univers du maître ukrainien. Le second contient quatre nouvelles, plus connues, dont la plus longue « Tarass Boulba » dans sa première version (la deuxième sera plus tard rédigée sous un format roman), une nouvelle guerrière qui s’attarde peut-être un peu trop, et passé la surprise de constater une facette différente du style de l’auteur, une envie incontrôlable d’atteindre enfin la dernière page.
La dernière nouvelle de ce recueil, issue de « Mirgorod », représente comme la première (des « Veillées du hameau ») tout un pan de l’atmosphère Gogolienne : la preuve par l’absurde. « La brouille des deux Ivan » dépeint deux amis unis comme les cinq doigts de la main, qui soudain et pour une broutille, deviennent les meilleurs ennemis du monde. On rit beaucoup, on s’esclaffe, même si bien sûr GOGOL n’est pas exempt des réflexes quelque peu nauséabonds des idées reçues de son siècle, je pense au sort réservé aux juifs. C’est une lecture de son temps, il faut s’y préparer (comme beaucoup de clichés véhiculés par un XIXe siècle dont la littérature ne sera pas épargnée, la russe peut-être plus que toutes les autres). les quelque 500 pages du recueil ne s’avalent pas d’une traite, il faut les laisser mûrir, les abandonner pour mieux les reprendre ensuite, elles sont une fresque impressionnante de la vie rurale ukrainienne.
GOGOL est un auteur à redécouvrir, aujourd’hui peut-être plus urgemment que jamais, il est cet écrivain qui mieux que tout autre dépeint le peuple ukrainien, ses paysages, son quotidien et ses rites. Cette chronique est d’ailleurs dédiée à ce peuple qui aujourd’hui encore doit se défendre du monstre russe, comme si l’Histoire tendait à bégayer éternellement dans cette partie du monde. « Les nouvelles ukrainiennes » fut lu dans sa version disponible dans le recueil « Nouvelles complètes ».
(Warren
Bismuth)
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