Au sein du challenge annuel du blog Book’ing dont le thème de 2024 est « Lire sur le monde ouvrier & les mondes du travail », il existe des activités internes, dont celle des lectures communes, où plusieurs blogueureuses vont lire un même ouvrage pour le présenter à une date précise. Ce bouquin historique de Anne CRIGNON en fait partie, et tous les blogs intéressés présentent leur billet sur leurs blogs respectifs en ce 15 mars. Je vous remets le lien de ce challenge qui s’accroît au fil des jours :
https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2024/01/2024-lire-sur-le-monde-ouvrier-les.html
Dans ce passionnant documentaire, Anne CRIGNON fait revivre une fameuse grève de la Bretagne d’antan, dont le lieu exact et la date nous sont donnés dans le sous-titre, « Les Penn sardin – Douarnenez, 1924 ». Les Penn sardin, c’étaient ces sardinières du Finistère s’exténuant à mettre en boîtes les poissons. Leurs revendications sont diverses, mais juste une curiosité pour amorcer le sujet : les ouvrières de la vingtaine des usines de sardines de Douarnenez étaient les moins bien payées de tout le pays. L’autrice pose les jalons historiques et sociaux qui menèrent à cette grève massive de novembre 1924, sorte de deuxième round d’une grève de 1905 où des avancées sociales avaient déjà été enregistrées, pour stagner ensuite. Ici aussi, les revendications sont les cadences infernales, le salaire ridicule et les mauvaises conditions de travail. L’étincelle se produit lorsqu’un patron refuse de recevoir des ouvrières éreintées.
Anne CRIGNON dépeint à merveille l’atmosphère générale, avec des femmes salariées qui, sans le savoir, ont fondé une micro société matriarcale au sein de leurs minuscules maisons sans confort, où les maris ne sont plus ni dominants ni autoritaires. Ainsi leur révolte découle d’un penchant naturel, ainsi que d’une solidarité à toute épreuve.
Anne CRIGNON nous guide au cœur de ce climat bien particulier dans les ateliers de sardines où le lieu de travail est comme héréditaire, avec parfois de jeunes fillettes de 8 à 10 ans qui sont embauchées sous un nom d’emprunt dans un pays où la mixité sociale scolaire n’existe pas, tout comme celle réservée sur les bancs des églises de cette région très pieuse. Cet ouvrage est d’ailleurs riche en détails sur les mœurs et le quotidien rural de la Bretagne des débuts du XXe siècle.
Un féminisme ouvrier se met en place presque naturellement, alors que les ouvrières chantent, et que certaines paroles peuvent irriter les oreilles des patrons, dont ce refrain « :
« Saluez, riches heureux
Ces
pauvres en haillons
Saluez,
ce sont eux
Qui gagnent vos millions ».
Petits riens qui rendent ce témoignage précieux, par son folklore, sa situation historique (quelques années après la première guerre mondiale) comme par cette organisation d’abord fébrile des femmes grévistes ou encore ces brèves biographies d’actrices et acteurs de cet épisode majeure de la grève en Bretagne.
Le portrait du maire d’alors, Daniel LE FLANCHEC, est dressé. Homme de conviction, communiste pacifiste ayant fait ses classes dans l’anarchisme, LE FLANCHEC reçoit les grévistes, les écoute et les soutient immédiatement dans la grève. Il sera pour un temps suspendu de ses fonctions. Quelques jours plus tard, ce sont 3000 manifestantes qui défilent dans les rues de Douarnenez. Un certain Charles TILLON (qui plus tard fera beaucoup parler de lui), un jeunot de 27 ans, alors secrétaire de la CGTU Bretagne, rejoint aussi le mouvement et crée des crèches pour accueillir les enfants des grévistes, alors que des fonds sont levés pour leur venir en aide et que la tension monte d’un cran avec les autorités nationales. Marcel CACHIN, directeur du journal L’humanité, se rend sur place.
ANNE CRIGNON insiste sur le caractère anonyme des femmes grévistes. Elles ont à peine un visage, mais pas d’identité, elles n’existent que collectivement, derrière un drapeau rouge vestige de la grève de 1905. Seule semble survivre dans l’histoire cette Joséphine PENCALET (prononcer Penn Kalett), que l’autrice portraitise grâce aux informations qu’elle a pu dénicher.
La journée du 1er janvier 1925 est particulièrement violente, cela aussi Anne CRIGNON le détaille, dans une écriture vivace, dynamique, énergique et truffée d’humour, qui n’est pas sans rappeler le style acéré et affirmé de l’actuelle journaliste Anne-Sophie MERCIER dans Le Canard Enchaîné. Après 48 jours de grève, le patronat ploie, les Penn sardin ont gagné. S’ensuit un rapide effet boule de neige : plusieurs communes environnantes adoptent les mêmes lois pour le travail des ouvrières.
Le titre de cet ouvrage est emprunté à celui de Lucie COLLARD qui, dans un court récit de 1925, fait déjà revivre cette bataille sociale, d’autant qu’elle a été sur le terrain et a participé aux manifestations et aux comités de soutien. Ce documentaire est exceptionnel par la richesse de ses informations ou encore de ses éléments bibliographiques semés çà et là dans le récit. Au cœur du livre, des photographies viennent à leur tour témoigner d’une époque, d’une lutte. Rien n’est laissé au hasard car, comme déjà signifié, c’est aussi le style littéraire de Anne CRIGNON qui fait vibrer l’action de manière originale et pétillante. On doit cette tranche de l’histoire aux éditions Libertalia, qui ont sorti cette petite perle marine en 2023 dans leur somptueuse collection poche La Petite Littéraire pour laquelle j’avoue un faible.
Pour aller plus loin, je vous colle cette chanson de madame Claude MICHEL, en hommage aux Penn sardin :
https://www.youtube.com/watch?v=50VKs3g6DqQ
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren Bismuth)
Nos deux billets renvoient vers la fameuse chanson, très plaisante à écouter dans le prolongement de la lecture... u n récit très bien construit, oui, j'ai notamment beaucoup aimé les témoignages d'enfants d'ouvrières qui s'y insèrent. J'ai regretté que nous n'ayons pas plus d'informations sur les Penn Sardin en tant qu'individus, et sur le quotidien des jours de grève, mais comme le souligne l'auteure, ce n'est pas là volonté de sa part, mais carence d'archives...
RépondreSupprimerMerci pour ta participation !
J'ai vibré lors de cette lecture que j'ai lu en partie pour ce travail commun, donc merci à toi.
SupprimerBonjour. Je découvre ce blog grâce à la lecture commune autour du livre d'Anne Crignon. En lisant les différents billets sur ce livre, je regrette vivement de ne pas avoir trouvé le temps de me joindre à vous. Vous insistez tous (tes) sur le caractère collectif mais anonyme de ce combat. Cette lecture permet de rendre hommage aux oublié(e)s qui se sont battu(e)s pour leurs droits.
RépondreSupprimerBienvenue sur ce blog, j'espère que tu y trouveras des références intéressantes et, pourquoi pas, des envies de lecture.
SupprimerMerci !
SupprimerBonjour, Je vois que cette LC fait l'unanimité et je note que la plume d'Anne Crignon rend justice à ce combat.
RépondreSupprimerUn épisode de la lutte ouvrière à lire d'urgence.
SupprimerJe trouve très juste ce que tu soulignes du fonctionnement matriarcal de cette micro société. Cela m'est venu à l'esprit pendant la lecture et puis, j'ai oublié de le mettre dans ma note. C'est l'intérêt aussi des lectures communes, on se complète.
RépondreSupprimerJe prends toujours beaucoup de notes pour ma rédaction, ceci explique peut-être cela.
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