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mercredi 22 mai 2024

Sylvain PRUDHOMME « L’enfant dans le taxi »

 


Après une rencontre littéraire fort plaisante où l’auteur présentait son nouveau roman, séduit je me suis précipité vers le stand de vente pour acquérir ce livre, sans vraiment savoir ce qui m’attendait malgré l’effet enthousiaste que m’avait laissé l’auteur.

Dès l’entame de ce roman particulièrement inspiré, Sylvain Prudhomme pose les jalons. Une scène au bord du lac de Constance côté allemand peu après l’armistice de la seconde guerre mondiale. Une ferme où vit une jeune fille. Un jeune français, soldat, y habite depuis deux semaines. Ils s’aiment. Ils consomment. Ceci, l’auteur-narrateur l’imagine. Car un enfant est né de cette union contre nature. Cet enfant est devenu un secret de famille, une honte presque, un tabou en tout cas. D’ailleurs, le texte ne lui permet pas d’être prénommé, son auteur se contente finement d’un « M. » pour toute identité.

Très près de nous dans le temps, les funérailles du patriarche d’une famille, les Malusci, dans le sud de la France. Or ce vieil homme fut soldat dans l’armée d’occupation française en Allemagne en 1945, au bord du lac de Constance. Le lien semble évident et ce secret va peser sur la famille « comme une pierre continue de ricocher longtemps après que la main qui l’a lancée est retournée à son immobilité ».

De son côté, Simon, le narrateur (sans doute prénommé ainsi par la passion que voue l’auteur à Claude Simon), écrivain de son métier, se débat contre une récente séparation amoureuse douloureuse alors que deux fils sont nés de cette alliance.

Vous l’aurez compris, nous sommes confrontés à ce que l’on nomme aujourd’hui une autofiction. Mais Sylvain Prudhomme s’en sort la tête haute : il ne se met jamais en avant, sait garder les distances et semer un trouble délicat entre réalité et fiction. Mieux : il se sert de son histoire familiale pour développer avec grand talent une universalité, « Il y a eu 400 000 enfants comme M. 400 000 enfants allemands nés de soldats alliés ». Simon va mener son enquête, traverser la France à plusieurs reprises afin de chercher la trace de ce M. malgré la désapprobation de la famille, de la grand-mère Imma surtout, celle dont on vient d’enterrer le mari. Car que ce dernier ait eu un enfant d’une autre union, elle le sait, mais refuse de s’en confier. « Je te bannis » dit-elle à son petit-fils s’il lui prend l’envie d’aller trouver ce fils maudit, ce fils bâtard.

Les premiers secrets – et ils sont nombreux dans ce livre - divulgués font vaciller la famille, sa structure. Simon a tiré sur un fil, c’est toute la pelote qui vient à lui. Il découvre des ramifications qu’il ignorait, qu’il ne sait comment analyser, alors que parallèlement il tente de faire face à sa propre séparation. Car « L’enfant dans le taxi », s’il est une quête sur la découverte et la résurgence du passé, sur l’histoire familiale interdite, il est aussi celui de la reconstruction, de la volonté d’avenir. Il navigue sans cesse entre ces deux bouts (de pelote en quelque sorte) en un présent brumeux, même si Simon s’octroie avec ou sans ses enfants de belles sorties qui le font respirer.

« L’enfant dans le taxi » est mené de main de maître. Au-delà de cette passionnante et intrigante plongée dans un passé familial lourd de conséquences, Sylvain Prudhomme met les formes : texte moderne, dynamique, bienveillant (mais pas cucul !), porté par une écriture sensitive et particulièrement soignée, déroulée comme un synopsis. Si les questionnements sont nombreux dans ce roman, aucun point d’interrogation ne vient les soutenir, les entretenir. L’échange de Simon et son oncle Franz lors de l’enterrement du grand-père est un modèle du genre : aucun point, juste une suite de bouts de phrases ponctuée par des virgules et des retraits à la ligne. Et le tout est d’une efficacité redoutable.

Roman de la filiation autant que de la trahison, de l’omerta et du pardon, « L’enfant dans le taxi » se garde de jugements. Il décrit avec pudeur, suavement, sans condamner, sans pointer du doigt, c’est indéniablement l’une de ses forces principales. Les digressions ne sont jamais impromptues, elles collent au texte, elles l’aèrent, le font vivre. Pas une phrase n’est superflue, le bâtiment est solide et sans fissures, c’est une grande découverte, parue chez Minuit fin 2023.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

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