Après une année d’absence, la narratrice vient rendre visite à sa famille néerlandaise installée en France. Une famille protestante pratiquante, très marquée par la foi et par ses racines, évoluant en partie en vase clos, comme dans un monde où le temps se serait arrêté, tout du moins aurait fortement ralenti.
Longs chapitres mais phrases et paragraphes brefs, aérés, souvent présentés sur une seule page comme peinte. Sorte de roman graphique sans image, sans vignette, il est celui du souvenir : des expressions néerlandaises toujours usitées dans la famille malgré l’émigration lointaine, comme un lien inextricable entre les différents membres. C’est aussi un roman de la vieillesse, avec ce grand-père frappé d’Alzheimer, ce père usé avant l’âge pour cause de surcharge mentale, proche du burn out. Et ce fils, le frère de la narratrice, à la veille de son ordination, comme pour parachever le destin héréditaire de cette famille entièrement dédiée à la religion. Ce frangin semble d’ailleurs déjà un expert en cérémonies funèbres.
Des scènes du quotidien, décrites avec lenteur et application, des expressions françaises avec leurs traductions en néerlandais ainsi que la version originale, les racines encore, fortes, solides. Ce titre mystérieux, « Ceux qui appartiennent au jour », pourrait se traduire par « Ils sont sur le fil ». En version originale : « Het zijn mensen van de dag ».
Bref roman très poétique, rythmé par le métronome de la pendule, celle des souvenirs du passé. Ces souvenirs, scrutés, dans une langue soyeuse, certains issus d’un hiver lointain où la famille se risquait au ski hors-piste, avec les conseils d’un père avisé et protecteur : « Quand la terre était glissante, il nous montrait la technique de la marche en canard. On écartait les pieds, les genoux flexibles, on priait pour ne pas tomber dans la gadoue. Sur le bord des chemins, il cueillait toutes les herbes comestibles pour nous faire goûter. C’est de la ciboulette, proef. Au bout de trop d’heures de marche, on apercevait le clocher du temple et le petit chemin descendant vers le Presbytère ».
Emma Doude van Troostwijk est une jeune autrice de 25 ans, encore un peu verte – la répétition de ce « Je » peut paraître pesante dans la lecture – possède cependant ce réel talent de s’attarder sur les détails, les natures mortes, les à-côté de la scène principale. Roman peut-être un brin trop autocentré (la maladie contagieuse de la littérature française contemporaine) mais recelant de vrais bons moments, enveloppés de pudeur et de délicatesse.
Un roman qui, heureusement, regarde aussi vers l’avenir : « Tu sais pourquoi les reptiles muent ? Il secoue la tête. Ils ont besoin de renouveler leur peau pour grandir. Tu vois, tu grandis. Et un jour, tu vas trouver ce qui fait sens pour toi et tu garderas ta peau, parce qu’elle sera toi. Tu auras décidé que cette enveloppe-là te va. Et ce sera beau, grand frère, tu verras ».
Premier roman prometteur paru en début d’année aux éditions de Minuit, il lance une carrière qui pourrait bien être longue. « Le français dit qu’un ange passe. Le néerlandais dit qu’un pasteur se promène. ‘Et gaat een dominee vorbij’ ».
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire