Ce roman insulaire de 1978 à la structure complexe s’ouvre en 1804 quelque part en Islande, alors colonie danoise. Diverses épidémies ont décimé une grande partie de la population de l’île au XVIIIe siècle. L’histoire se projette rapidement quelques années en arrière au cours d’un interminable hiver puis d’un printemps glacial provoquant de nombreux morts mais aussi misère et famine. Jusqu’à l’irruption gigantesque d’un volcan en juin 1783. L’air devient irrespirable, le ciel s’obscurcit. S’ensuit un hiver encore plus glacial que le précédent, dix mois de brume. En 1788, les cendres de l’irruption volcanique sont toujours présentes dans l’atmosphère. C’est alors qu’une vieille femme mystérieuse réapparaît dans un village qu’elle avait quitté 45 ans plus tôt. Elle est venue y trouver Einar, un homme de 78 ans qu’elle a bien connu jadis.
Le récit s’enfonce un peu plus loin dans le passé, plusieurs décennies d’un coup, avec le profond antagonisme entre deux shérifs d’un même district. L’un d’eux, Thorsteinn, a accueilli en 1731 la nièce de sa femme, une certaine Sólrún, 11 ans. L’autre shérif se nomme Jens Wium. Entre les deux hommes, une partie de bras de fer s’amorce, un combat à la vie à la mort, qui va durer bien après la leur, car se noue une sordide histoire de filiation…
Années 1730, Sunnefa, 16 ans, mère d’un enfant dont le père pourrait bien être son propre frère Jón, 14 ans. Ils furent orphelins très tôt, or l’inceste est puni de mort dans cette partie du monde. Tous deux vont jouer un grand rôle malgré eux. Car c’est autour de la haine entre les deux shérifs et l’affaire incestueuse que va s’articuler le récit, avec des voyages dans le temps à donner la migraine à un calendrier, ainsi que lors d’un procès retentissant qui aura de nombreuses suites.
Dans ce roman ample et singulier, beaucoup de personnages défilent au gré des époques évoquées. La trame est aussi ténébreuse que volontairement embrouillée, la pensée peut se perdre dans les allers et retours dans l’espace temps, mais aussi avec ces protagonistes qui ressurgissent du passé. Pourtant le plaisir est constant lors de la lecture tant l’atmosphère semble vraie, est en tout cas rugueuse et rurale. Elle peut être rapprochée d’un « Hauts de Hurlevent » d’Emily Brontë qui aurait fini par échouer sur les côtes écossaises de la trilogie de Peter May (écrite après le roman de Cooper).
Ce que l’on peut paradoxalement retenir de ce roman, ce ne sont peut-être pas tant les personnages – certains détestables - ou le scénario mais bien la description d’une grande puissance de la nature, du froid, de la neige, les masses liquides. Ces passages sont féeriques, l’auteur étant un immense peintre des grands espaces. Il dilue son histoire on ne peut plus sombre dans de petites perles narratives sur les paysages islandais, qui feraient parfois presque oublier le fil du récit. « Les rivières de ces plaines de sable étaient profondes, tumultueuses et terriblement froides ; et tenter de les franchir à gué revenait toujours à se mettre entre les mains de la providence. Qui savait comment avait changé le lit d’une rivière au cours des derniers jours écoulés depuis la dernière traversée ? ». Car à l’instar de l’intrigue, la nature évolue sans cesse, au gré des saisons, mais elle est loin d’être une alliée, elle-même faisant partie de la mort si présente dans le roman. Elle est hostile autant que libre.
L’écossais Dominic Cooper est le genre d’auteurs que j’affectionne tout particulièrement pour une raison simple : se discrétion a fait qu’il n’a publié que trois romans entre 1975 et 1978. Tous trois de toute beauté bien qu’au climat très différent. Cooper entra en piste avec ce chef d’œuvre qu’est « Le cœur de l’hiver » en 1975. 1977 voit la rédaction de « Vers l’aube », presque aussi réussi. C’est en 1978 qu’il arrête – déjà – sa carrière avec ce beau « Nuage de cendre ». Puis il s’éclipse. Comme les personnages de son ultime roman les uns après les autres. Il n’a rien publié par la suite, jamais. Comme pour « Vers l’aube », « Nuage de cendre » fut traduit magistralement par Céline Schwaller.
Dominic Cooper fut découvert sur le tard en France grâce aux éditions Métailié, en 2006. Les trois romans ont été édités en français dans l’ordre chronologique même s’ils n’ont rien à voir les uns avec les autres, à raison d’un tous les trois ans, puisque « Vers l’aube » sort en 2009 et « Nuage de cendre » en 2012. Cooper est un écrivain rare, car en plus d’avoir si peu écrit, il a créé une atmosphère redoutable, à chaque fois très différente, dans chacun de ses romans. Pourquoi s’est-il motivé à tout stopper presque du jour au lendemain ? Peut-être qu’après trois pareilles prouesses littéraire, un auteur a le droit de se dire qu’après tout il a déjà tout dit et qu’à l’avenir il se répèterait. En tout cas ruez-vous sur ses trois romans, peut-être encore plus les deux précédents que celui-ci qui pourrait fort décourager un lectorat n’ayant encore jamais croisé les phrases de l’écrivain. Découvrez « Le cœur de l’hiver » et faites-moi part de vos retours si jamais. D’autant que Métailié l’a réédité en 2022, cette fois-ci en version poche pour un prix modique.
« Les mouettes poussaient des cris excités au-dessus du fjord et la lumière du soleil tombait d’un ciel limpide. Une brise légère soufflait sur la grève et apportait le goût du sel jusqu’à mes lèvres. Audnir, mon foyer, se trouvait juste de l’autre côté de la colline… Mon Dieu, qu’il était bon d’être vivant ! ».
https://editions-metailie.com/
(Warren
Bismuth)
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