Recherche

mercredi 21 mai 2025

Guy de MAUPASSANT « À la feuille de rose, maison turque »

 


Veuillez éloigner promptement vos enfants de l’écran diffusant cette chronique ! Car aujourd’hui plus que jamais nous n’allons parler qu’entre adultes consentants. Une pièce de théâtre tout d’abord, « À la feuille de rose, maison turque », écrite en 1875 par celui qui deviendra l’un des plus grands écrivains français. Connu pour ses frasques ou phrases un brin grivoises, Maupassant n’est pourtant pas renommé pour ses images pornographiques. Et pourtant… Lisez cette pièce, elle va plus loin que tout ce que vous aviez pu espérer/redouter sur le sujet.

Beauflanquet, maire de Conville, et madame pensent se rendre dans un hôtel chic. Il s’agit en fait d’un bordel. Là travaillent quatre femmes à la langue bien pendue, ainsi qu’un vidangeur, un bègue qui vient vider la merde des chambres. Bien entendu un redoutable quiproquo aux faux airs de vaudeville en nuisette s’installe rapidement, l’hôtel étant vite dépeint aux deux clients comme un harem truc. Avec un ton d’une liberté inégalée, Maupassant passe en revue tous les tabous de sa génération (et de la nôtre) : scatophilie, urophilie et même nécrophilie. N’en jetez plus !

Grivoise oui, loufoque sans doute, burlesque très certainement, mais cette pièce est surtout d’une rare indécence. Obscène mais tellement drôle, elle repousse les limites de l’autopermission littéraire. D’autant que dame Beauflanquet ne va pas tarder à avoir des vapeurs, où des scénettes bisexuelles nous sont détaillées. Mais Monsieur ne sera pas en reste ! Théâtre joyeusement odieux, exagérément vulgaire, il n’en est pas moins jubilatoire. Devant le travail de titans exercés par les algorithmes sur la toile, traquant les plus petites allusions un peu trop prononcées au s*xe, je me garderai bien de proposer un extrait de ce pourtant joli texte. Cependant, vous pouvez le lire en intégralité sur la Toile.

« À la feuille de rose, maison turque » ne put bien sûr sortir du vivant de Maupassant. Il faudra attendre 1945 pour voir éditée clandestinement une première version (époque où la grande déconnade n’allait pourtant pas trop de mise) avant une édition officielle en 1960. De cette pièce à laquelle il fut convié, Flaubert, grand ami de Maupassant, dira « c’est très frais ».

Suivent trois poèmes issus d’anthologies de « Le parnasse satyrique ». Et là, nouvelle surprise : si les deux premiers poèmes sont érotiques mais savent se tenir (« Je n’ai point assez du baiser / Dont se contente tout le monde / Et la source où je veux puiser / Est plus cachée et plus profonde ! // De votre bouche elle est la sœur ! / Au pied d’une blanche colline / J’y parviendrai, dans l’épaisseur / D’un buisson frisé qui s’incline »), il n’en est pas de même du dernier, « 69 », ode à la pornographie et à une certaine position sexuelle fort prisée dont là aussi je m’abstiendrai de reprendre des extraits. En cherchant bien, vous pouvez néanmoins la trouver sur Internet.

Revenons à Flaubert. Car en 1880, Maupassant est visé par la justice pour un poème, « Au bord de l’eau » (qui traite du non-consentement), accusé de « Outrage aux mœurs et à la moralité publique ». Flaubert s’en esclaffe, d’autant que ce poème publié en 1875 et passé inaperçu vient de ressortir dans une feuille locale en 1880. C’est là qu’il est pointé du doigt. Flaubert s’en amuse autant qu’il s’en offusque et fait part de ses réflexions à Maupassant dans une lettre haute et en couleur ici publiée. Maupassant n’aura pas le temps de lui répondre, Flaubert décédant quelques mois plus tard. Son recueil « Des vers », il l’entame par la missive de Flaubert suivie d’une lettre d’outre-tombe à son ami et son maître. Quant au procès, il n’aura jamais lieu.

« Des vers » est un recueil de poésie le plus souvent en alexandrins faisant se succéder des scènes d’amour, de mélancolie, mais aussi des instants tragiques de vies anonymes. Maupassant n’est pas connu pour être un grand poète. Pourtant ses vers portent, l’atmosphère des scènes est assez semblable à celle de ses nouvelles, dans des régions rurales, isolées et délaissées, tout comme leurs habitants. Nous retrouvons le Maupassant drôle, cynique et provocateur dans le très beau « Sommation sans respect » où un homme fait part de ses sentiments à l’encontre du mari décédé d’une femme qu’il convoite : « Regardez-le, madame, il a les yeux percés / Comme deux petits trous dans un muid de résine. Ses membres sont trop courts et semblent mal poussés, / Et son ventre étonnant, où sombre sa poitrine, // En tout occasion doit le gêner beaucoup. / Quand il dîne il suspend la serviette à son cou / Pour ne point maculer son plastron de chemise / Qu’il a d’ailleurs poivré de tabac, car il prise. // Une fois au salon, il s’assied à l’écart, /Tout seul dans un coin noir, ou bien s’en va sans morgue / À la cuisine auprès du fourneau bien chaud car / Il sait qu’en digérant il ronfle comme un orgue ».

Sans être  d’une profonde virtuosité, « Des vers » se laisse lire. Mieux il nous fait retrouver l’ambiance du Maupassant que l’on aime, celui du travail psychologique de ses personnages ruraux en quête d’amour. Ce livre joignant son théâtre et sa poésie est paru en 2000, il n’est bien sûr pas à mettre entre toutes les mains.

(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire