Un recueil qui débute par des images choc : de jeunes enfants conditionnés pour avoir peur et haïr, certains animaux par exemple. Ce n’est pas de la science fiction, ça se passe sous notre nez, dans notre monde actuel. Il en est de même pour les expérimentations animales, la sinistre vivisection, soi-disant pour faire avancer la science. Nous pourrions croire que nous débarquons sur une autre planète où toutes les souffrances sont permises et même encouragées. Hélas, nous sommes bien sur la Terre, rappelons-nous par ailleurs les expériences scientifiques passées dites de Pavlov ou encore de Milgram, cette dernière mise en œuvre pour un travail de mémoire collective « parce que l’holocauste n’était pas possible sans continuer jusqu’au bout ». Ainsi, des cobayes humains ont continué à obéir, jusqu’à la déraison. Milgram c’est l’aboutissement de la servitude totale.
Les labos, renfermant des animaux innocents mais aussi des humains, faibles et dépendants. Jusqu’auboutisme de la docilité ou de la folie humaine. Evocation du suicide, contre un monde dans lequel on ne se reconnaît plus, dans lequel on a perdu nos valeurs. Changement de registre avec cette personnification d’un tableau de Edward Hopper. S’ensuivent quelques brefs poèmes « flash ». Dénonciation de la mythomanie, de la violence sociétale, même là on ne les attend pas.
Puis soudain, la figure de Marlon Brando auquel Joyce Carol Oates en veut beaucoup et le fait savoir. Biographie intime d’un « Mâle prédateur », d’un raté, chute d’une star. Les mots cinglent : « Parce que désemparé par le corps de la belle épouse morte, ridiculement entourée de fleurs, tu pouvais à peine parler, puis parlais trop. Parce que tu étais stupide de chagrin. Parce que tu ne pouvais pardonner. Bas le masque cosmétique ! Tu n’avais pas connu la morte, et tu ne connaîtrais pas la morte, qui ne t’avait pas été fidèle. Tout ce que tu peux connaître est le corps docile de ton amante, bien trop jeune pour toi, et seulement son corps ».
Retour sur des faits divers, des tragédies à la sauce étasunienne. Le viol est abordé comme une omerta, un secret de famille, c’est-à-dire non abordé. Autre image : ce portrait d’un hobo unijambiste qui rentre mourir au pays. Car ces poèmes de Joyce Carol Oates dénonce cette Amérique à qui il manque des bouts, des bouts d’humanisme pour commencer. Heureusement il y a les chats.
L’autrice poétesse dévoile ses racines juives, s’attarde sur la Chine où de jeunes fillettes sont noyées dans les fleuves car par leur seule naissance elles enfreignent la Loi. La Chine toujours où ont lieu des prélèvements de peaux humaines qui rapportent. Business is business n’est-ce pas ? La souffrance avant le grand saut dans le vide, encore et toujours. Histoire vécue, intime cette fois-ci. Le second mari de Joyce Carol Oates, Charlie Gross sur un lit d’hôpital, en phase terminale. Il quitte ce vieux monde malade en avril 2019, juste avant la parution de ce livre aux Etats-Unis. Il clôt admirablement ce recueil marquant.
Poèmes en prose ou vers libres, violents, à fleur de peau, radiographie d’un pays défiguré, dérouté, déshumanisé. Ils dépeignent un monde à l’agonie, absurde, meurtri par les pertes d’idéaux. Paru en France en 2023 chez Philippe Rey, il a été réédité en poche l’année suivante. Ce n’est pas précisément un compagnon joyeux mais il est d’une beauté troublante puisée dans le drame et la détresse, dans la monstruosité, dans l’aberration. Recueil qui gifle et met K.O. mais envoûte, paradoxalement et intensément.
(Warren
Bismuth)
Encore jamais lu un roman de JCO et encore moins sa poésie. Il faut vraiment que je découvre cette autrice.
RépondreSupprimerPour être franc il s'agit de ma première incursion dans son œuvre, et le moins que je puis dire est que je n'ai pas été déçu, j'en relirai sûrement !
Supprimerça fait si longtemps que je n'ai pas lu l'autrice ! J'avais arrêté parce qu'un de ses titres m'avait déçue. Les extraits cités sont très beaux.
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