Nombreuses sont les raisons qui m’ont amené à lire ce roman :
mon intérêt pour TCHEKHOV bien sûr, la traduction assurée de main de maître par
André MARKOWICZ (l’incontournable traducteur des œuvres de DOSTOIEVSKI, ici
épaulé par Françoise MORVAN, résultat époustouflant !), le fait que ce
« Drame de chasse » soit le seul vrai roman de TCHEKHOV (il a écrit
d’autres ouvrages pouvant être considérés comme des romans, mais bien moins longs,
le format les rapprochant plus de longues nouvelles). D’autre part, ce livre n’avait
plus été traduit en français depuis 1930, date à laquelle il était sorti avec
une traduction partielle, le traducteur ayant estimé qu’il valait mieux résumer
une longue histoire qui pourrait paraître ennuyeuse, on n’est pas plus mufle.
Ici c’est la traduction parue en 2001 chez ACTES SUD. Il est d’autre part à
noter que dans la première parution des œuvres complètes de TCHEKHOV il n’y
apparaît même pas, un comble ! Ce qui m’a interpellé est aussi le genre de
ce roman, annoncé comme un polar !!! TCHEKHOV enquêteur, voilà qui n’allait
pas manquer de piment, d’autant qu’il s’agit presque là d’une oeuvre de jeunesse
puisqu’il n’a que 25 ans lorsqu’il l’écrit. La trame : un certain Kamichov,
juge d’instruction, rend visite au rédacteur d’un journal, par ailleurs
narrateur du début du bouquin, afin de lui proposer un roman qu’il vient
d’écrire, une histoire tragique et vécue qu’il aimerait voir publiée en
feuilleton, comme cela se faisait beaucoup à l’époque. C’est ce roman que le
narrateur décide de porter aux yeux de nous, lecteurs. Ici, Kamichov devient
narrateur, puisque lui-même témoin de ce fait divers, nous avons donc un roman
dans le roman, une sorte de poupée gigogne littéraire. Il change cependant son
nom en Zinoviev dans le récit. Zinoviev retrouve son ami le conte Pszechocki,
ivrogne invétéré qui boit de la vodka comme on se désaltère d’un grand verre d’eau
glacée en pleine canicule. Ensemble, ils vont partir en bordée, se saouler à en
rendre tripes. Ils sont tous deux amoureux de la même femme, Olga, qui va
pourtant se marier avec une vieille connaissance, Ourbénine, vieillard sans
épaisseur, pour se mettre à l’abri du besoin, elle n’en est pas amoureuse mais
semble en revanche très attirée par Zinoviev s’en rendant trop tard compte le
jour même de son mariage, durant lequel la plupart des convives sont ivres,
dont Zinoviev. C’est en pleine noce qu’Olga va être assassinée dans la forêt.
Ce roman d’une structure assez complexe se lit pourtant très bien : son humour,
son cynisme sont une force supplémentaire dans l’écriture. Il est vu comme un
polar. Cela manque de sens, il est beaucoup plus que cela : un vrai roman
russe du XIXème siècle (achevé en 1885) avec des personnages formidablement échafaudés,
ses lâches, ses hypocrites, ses soiffards. Derrière la légère bluette en
apparence, c’est bien la Russie tsariste en fin de course que TCHEKHOV dépeint.
On rit pourtant beaucoup, souvent franchement et parfois jaune. De plus, la
vraie intrigue n’advient que vers la fin du livre, où là il se transforme effectivement
en polar et le ton change. Mais la toute fin, parlons-en sans rien dévoiler de
suspect ! Kamichov va de nouveau rendre visite au rédacteur du journal
pour lui demander son avis sur le roman. Le rédacteur, à nouveau narrateur,
prend Kamichov à contre-pieds : ce dernier ayant assuré qu’il s’agit d’une
histoire vraie, le rédacteur rétorque que dans le récit le nom du meurtrier n’est
pas le bon ! Par certains côtés, notamment lorsque l’on s’approche du
dénouement, ce « Drame de chasse » m’a fait penser lointainement à « Crime
et châtiment » de DOSTOIEVSKI (qui reste pour moi le plus grand chef d’œuvre
de la littérature), le rédacteur ressemble au juge Porphyre de DOSTOIEVSKI. Et
l’on en vient à regretter douloureusement que le grand TCHEKHOV n’ait pas écrit
d’autres romans. Il se vengera sur les très nombreuses nouvelles qu’il écrira et
sur sa carrière foisonnante d’écrivain de pièces de théâtre. Mais ce « Drame
de chasse » me paraît tout à fait indispensable pour tout lecteur de littérature
russe du XIXème siècle, aussi parce que les thèmes chers à TCHEKHOV sont bien
présents dans ce magistral roman.
(Warren Bismuth)
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