La narratrice, Magda, a été brûlée à l’âge
de 9 mois. Une bouilloire. Magda a suivi le fil électrique, la bouilloire s’est
déversée sur son poitrail. Bilan : une cicatrice qu’elle portera à vie.
Adolescente, elle raconte la suite : le complexe du corps meurtri, un
handicap physique qui lui fera détourner les yeux des gens qui l’observe, se
sentir mal à l’aise, gênée. Durant l’accident, la mère faisait on ne sait trop
quoi (Magda a découvert un carnet où la maman exprime son ressenti et
n’incrimine que sa fille), le père était parti à la sieste. Magda a été greffée
à plusieurs reprises. Elle entretient une relation privilégiée avec son frère
Marc plus vieux de 11 mois seulement, un amour (platonique ?) exclusif,
sans nuance et sans partage. Dans ce quotidien sans grand bonheur ni émotions,
une petite sœur naît. Elle va rapidement mourir. Dans son lit, comme
proprement. Pour soigner sa vilaine cicatrice physique, Magda va se rendre
plusieurs fois en cure, rencontres avec d’autres estropié.e.s de la vie. Il y a
aussi les vacances, seul contact direct avec la nature. Et l’amour avec ce
frère. Toujours. Jusqu’au drame épouvantable de 1988, le jour même de la
défenestration du musicien de jazz Chet Baker. Ce roman est celui de l’impossible
reconstruction, des cicatrisations, physiques comme morales, impossibles à
obtenir. Plaies béantes, honte (c’est le cas lors des premiers flirts de Magda,
honte de son corps mutilé par cette peau brûlée), isolement. Pourtant elle va
rencontrer ce qu’elle va croire être le grand amour en la personne de Markus
(Markus, Marc, n’y aurait-il pas comme une coïncidence, celle de l’amour perdu
du frère recherché dans l’amour physique ?). Roman intimiste, lent,
désenchanté, parfaitement maîtrisé bien que ce ne soit que le deuxième d’Anne
GODARD. Je dois confesser que je n’ai guère de souvenirs de la lecture du
premier de 2006, « L’inconsolable », mais cette « Chance
folle » prend aux tripes. C’est le roman de l’abandon, car celui de la
mère jalouse, du père effacé, de la sœur morte sur laquelle pourtant de grands
espoirs étaient fondés. Difficile de ne pas apercevoir l’influence de Laurent
MAUVIGNIER, surtout vers la fin du récit. Difficile également de rester de
marbre face à ce chemin de croix, cette voie sans issue d’une adolescente déjà
meurtrie par la vie, fatiguée, qui décrit sa vie, qui écrit son parcours déjà
lourd. C’est sorti en 2017 aux ÉDITIONS DE MINUIT, typiquement dans la ligne
éditoriale de l’éditeur. Roman court et émouvant, très bien huilé et très
contemporain. À découvrir.
(Warren
Bismuth)
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