Interview croisée (menée par José LENZINI) de ces deux
intellectuels, le premier psychiatre et neurologue français, le second écrivain
algérien. Le menu est dense et chaque protagoniste devra répondre plutôt
brièvement à des questions pertinentes. Néanmoins, les réflexions sont
poussées, creusées et peuvent nous laisser sur le bord de la route, nous peu
érudits en géopolitique et Histoire des religions et autres fanatismes. Les
deux funambules restent en équilibre en déroulant leurs thèses sur de nombreux
sujets brûlants : islamisme, antisémitisme (les deux thèmes se recoupant
de plus en plus), conflits israélo-palestiniens, poids divers des U.S.A., de la
Russie, de l’Europe ou encore de l’O.N.U. sur la scène politique mondiale,
comparaison de l’islamisme et du nazisme, situations politico-religieuses du
Maghreb, du Moyen-Orient, chimère de la paix, des paix devrait-on dire,
intérêts des grands puissances, etc. Autant dire qu’en quelques dizaines de
pages il n’est pas aisé de développer des arguments sur tous ces points.
Néanmoins CYRULNIK et SANSAL s’en sortent comme des chefs, avec des phrases qui
font mal, lucides pourtant, mais pouvant nous mener au désespoir quant à
l’avenir de l’humanité sur notre planète. Boualem SANSAL ne se définit pas
précisément comme un écrivain courageux : « Courage ? Non, surtout pas ! Le courage est une flamme qui
peut pâlir et s’éteindre et vous manquer au moment le plus crucial. C’est même
une folie, une exaltation passagère. Non ! C’est quelque chose de plus
fort [La résistance dans le contexte actuel], de plus vrai, c’est la vie menacée par la ruine, la haine et la
souillure qui va puiser dans les profondeurs de l’âme ce qui est sa substance
même : sa dignité ». Dans cet échange épistolaire, CYRULNIK n’est
pas en reste : « Je suis assez
pessimiste parce que je pense qu’on ne peut prendre conscience de la paix et en
jouir que si l’on a été en guerre, et que, de nos jours, il n’existe plus de
procédure pour arrêter la guerre et faire la paix ». De nombreuses
phrases seraient à mettre en exergue tellement la conversation est de haut
niveau. Que dire de cette fort judicieuse pensée de Boualem SANSAL où il trempe
encore sa plume dans le vitriol « Mais
l’échec vient en fait du surgissement (attendu, pas attendu ? Provoqué,
naturel ?) du « printemps arabe », qui a chassé les dictatures
arabes sans faire entrer la démocratie et faire apparaître ce qui était à peine
soupçonné : la profonde et irrésistible réislamisation des peuples arabes
et l’inclinaison de nombre d’entre eux (chez les jeunes, les commerçants, les
professions libérales) vers des courants radicaux » ? Les deux
penseurs se répondent parfois, l’un rebondissant de manière dynamique sur la thèse
de l’autre. C’est tout de même un échange assez relevé donc il ne faut pas
s’emballer à sa lecture. Certains passages peuvent s’avérer complexes, pourtant
ils sont dits, écrits avec simplicité, sans mots où un dictionnaire nous apparaîtrait
comme indispensable. En fin de volume, plusieurs annexes : un « Appel des écrivains pour la paix »
lancé en 2012 par Boualem SANSAL et David GROSSMAN, suivi d’un article du même
SANSAL sur Jérusalem, une lettre visionnaire de FREUD datée de 1930, pour
terminer sur des réponses bonus de l’interview par CYRULNIK parues en 2009. Une
conversation qui donne envie d’aller plus loin, de mieux comprendre ce qui se
passe irrémédiablement sous nos yeux impuissants, grâce à ces pistes soutenues
tracées par deux hommes éclairés et dédiés à la vérité contre la barbarie.
Sorti en 2017 aux ÉDITIONS DE L’AUBE.
(Warren Bismuth)
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