Traduire des poèmes russes peut s’avérer
périlleux voire contre-productif étant donné que la richesse de la langue
écrite en matière de poésie peut paraître intraduisible. Néanmoins, certains
traducteurs s’y collent avec grand talent (ici Christian MOUZE), et on les
imagine manger leur plume pour recréer au plus près l’esprit originel.
Quatre très courts recueils sont présentés
ici : « Cycle du vent de la guerre », « La lune au
zénith », « Sur Leningrad », « Mort ». Tous écrits
entre 1941 et 1945 (exceptés de courts fragments écrits en 1956). Contrairement
à nombre de ses compatriotes écrivains, Anna AKHMATOVA n’a pas fui son pays.
Pour plusieurs raisons : résister de l’intérieur (même si elle n’a jamais
été vue comme une militante, loin de là), mais aussi par patriotisme : la
poétesse adorait son pays plus que tout, elle fut une ardente défenseuse de la
Grand-Russie. Dans ces poèmes, la puissance des images saute à la figure.
Poésie dépouillée de l’inutile, du superflu, hantée comme il se doit par la
mort, la guerre (notamment à Leningrad).
Les ombres de PASTERNAK, TCHOUKOVSKAÏA et
autre MANDELSTAM planent dans ces courts textes, comme cette mort qui ne semble
jamais faire de pause. Il faut dire que la faucheuse, l’auteure l’a côtoyée
plus qu’à son tour : son premier mari Nikolaï GOUMILEV fusillé dès 1921.
Un autre de ses maris, POUNINE, déporté en 1937, meurt en 1953.
« L’air important on a dit adieu aux filles
Et
embrassé sa mère tout en marchant,
On
s’est affublé de neuf
Comme
pour un jeu de soldats de plomb
Ni
mauvais, ni meilleurs, ni médiocres…
Tous
à leur poste
Où
il n’y a ni premiers ni derniers…
Tous
là-bas se sont couchés »
Si elle fut parfois comparée à Marina
TSVETAEVA, c’est en pure perte. Outre que les deux femmes ne s’appréciaient
guère, TSVETAEVA était une révolté, une poétesse agitée, à fleur de peau, qui
ne faisait pas vraiment dans la demi-mesure (elle se suicidera en 1941,
éreintée par la vie), et si leurs poèmes laissent une grande place à la mort,
ils ne se ressemblent pas sur le fond, malgré leur brièveté et leur violence.
AKHMATOVA fait la part belle aux verbes, attributs que TSVETAEVA évitait.
Pourtant AKHMATOVA pourrait par certains
aspects paraître comme une femme engagée : la guerre, la mort, l’absurdité
des combats, les amours emplies de souffrance. Mais plus que militer, elle est
plutôt témoin et écrit ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, les lamentations,
les souffrances.
Comme beaucoup d’écrits d’auteurs soviétiques
sous le stalinisme, ces poèmes sont sortis à l’époque sous forme de samizdats
(publications clandestines), AKHMATOVA étant interdite longtemps de publication.
Le recueil ici présent est d’une qualité exceptionnelle tant par le contenu que
par l’aspect : superbe papier qui rappelle de vieilles éditions de luxe.
C’est paru aux Éditions Harpo & en 2003 et c’est à lire de préférence au
soleil et au bord de l’eau pour calmer la tension grandissante.
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