Une lecture qui m’a laissé sans voix,
justement, les bases me manquant cruellement concernant les sujets abordés dans
ce roman original et déstabilisant. Mais réflexe positif : j’ai dû me
documenter pour suivre cette intrigue de haute voltige référentielle et
stylistique.
En effet, ce livre peut être vu comme une
réécriture de la Kabbale et de l’existence fantasmée du Golem. Entre foi,
légendes, contes, l’auteur nous guide dans les rues du ghetto de Pragol
(réécriture de Prague), dans la nuit seulement éclairée par les becs de gaz
quelques centaines d’années moyenâgeuses en arrière. Un ghetto peuplé de fantômes,
de spectres, de morts, dirigé par Rabbi Viggel, être opaque à la fois
bienfaiteur et malfaisant. Pratiquant l’exorcisme pour faire fuir les démons,
il userait en fait d’endorcisme, son exact
contraire. Il finira par se couper la gorge.
Immersion au présent ou presque, le XXe
siècle chargé de ses malheurs, des malheurs rappelant ceux de jadis. Les
ghettos, les morts, les zombies. Parallèle historique.
Jacob, le narrateur-Golem, entendant des
voix, comme une obsession, errant dans le ghetto humide, froid et venteux. Des
voix, toujours des voix. Incompréhensibles. Bruits de fond. Avec elles, avec
l’aide des habitants, ces spectres appuyés par Rabbi, doivent tous se rendre au
Transval, sorte de terre promise.
Rabbi Viggel en appelle au Reversement ainsi
défini « Ce qu’il ambitionnait (Rabbi) c’était le remplacement pur et simple des
vivants par les morts, et non seulement de les influencer et de les remplir de
terreur le temps d’une nuit magique ».
Le récit est peuplé de fantômes, mais aussi
de messes (noires), de magie (noire aussi), de créatures étranges, d’ombres en
pagaille, de brume, d’êtres plus ou moins maléfiques, mystérieux toujours. Le tout
s’étend du Moyen Âge à nos jours, entre réalité et légendes. Il y est question
de la bataille d’Olomouc, de la nuit de Walpurgis, de sorcières, de la Shoah finalement,
en un long monologue suffoquant, de longues phrases frappées de parenthèses,
les pensées suspendues, interrompues, un soliloque de souffrance, d’errance et
de terreur.
Rassurez-vous, le Transval, après bien des
difficultés, va être atteint, tel un firmament. Mais il va irrémédiablement se
rétrécir comme peau de chagrin. Dans ce roman gothique et fantastique, les
traits d’humour sont pourtant nombreux (il faut réussir à les capter à
l’instant T, ils passent souvent inaperçus), l’auteur aimant jouer avec les
mots. Derrière l’oppression extrême du récit, de petits moments de grâce épars,
pour nous délivrer en partie du joug de cette écriture d’une rare noirceur, ce
ton résolument glacial qui ne laisse que peu de marge de manœuvre. Un roman
« pluvieux que jamais » qui
vient de paraître chez Quidam Éditeur.
(Warren
Bismuth)
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