Cet Alexandre du titre, c’est POUCHKINE
(1799-1837), considéré comme le plus grand poète russe ayant jamais existé.
Mais ne nous y trompons pas, ce livre n’est pas une biographie de POUCHKINE, il
est plutôt une anthologie de la poésie russe entre 1802 et 1841, et même un peu
avant et un peu après. Ce volume est assez fascinant par son contenu :
outre les plus grands poètes russes de la première partie du XIXe siècle et la
présentation de certains de leurs poèmes jusqu’alors inédits, c’est aussi
l’occasion pour André MARKOWICZ de balayer la période politique en Russie et
revenir sur le sort destiné à des poètes jugés gênants par le pouvoir.
Par ordre d’apparition : Alexandre
RADICHTCHEV, Nikolaï KARMAZINE, Andreï TOURGUENIEV, Vassili JOUKOVSKI, Nikolaï
GNEDITCH, Konstantin BATIOUCHKOV, Piotr VIAZEMSKI, Anton DELVIG, Alexandre
POUCHKINE, Wilhelm KÜCHELBECKER, Mikhaïl MILONOV, Evguéni BARATYNSKI, Kondraty
RYLEÏEV, Alexandre GRIBOÏEDOV, Fiodor TIOUTTCHEV, Alexandre ODOÏEVSKI, Gavriil
BATENKOV, Dmitri VENEVITINOV, Mikhaïl LERMONTOV. Environ un demi-siècle de
poèmes, d’engagements, de rivalités, d’interdictions, de censure, il serait
fort peu judicieux de vouloir résumer l’énormité de ce travail titanesque de
près de 600 pages.
Pour le titre « Le soleil
d’Alexandre », l’expression fut en fait utilisée au XXe siècle par Ossip
MANDELSTAM pour désigner POUCHKINE. Il paraît évident que MARKOWICZ a voulu établir
une passerelle entre le XIXe et le XXe siècle concernant le destin des poètes
(voir à ce propos la fin de vie de MANDELSTAM). Au XIXe, le chemin tortueux est
balisé par les plus grands noms de la poésie russe, par des exils, enfermements,
suicides, folies, abus, interdictions de publier. On n’en est qu’aux prémices,
mais déjà se profile l’extrême acharnement déclenché plus tard, notamment lors des
purges de 1937.
Mais n’allons pas trop vite ni trop loin.
L’auteur rappelle l’épisode décembriste de 1825 avec les condamnations à mort et
les déportations qui ont beaucoup joué sur la poésie russe. Déjà la fin du
XVIIIe a connu son lot de surprises, avec par exemple l’interdiction pour
RADICHTCHEV de publier à partir de 1790 (il sera déporté pendant 10 ans et se
suicidera en 1802).
Les poèmes représentent tout de même
l’essentiel de ce recueil, avec des pages de tous les poètes cités ci-dessus et
surtout avec des poèmes traduits par MARKOWICZ lui-même, ce MARKOWICZ déjà
coupable de flamboyantes traductions de l’intégrale de DOSTOÏEVSKI (rien que
ça) mais aussi de l’intégrale du théâtre de TCHEKHOV (avec son amie Françoise
MORVAN) et de tant d’autres russes, dont POUCHKINE bien sûr (mon petit doigt me
dit qu’il est actuellement, et entre autres, sur une nouvelle traduction du
« Maître et Marguerite » de BOULGAKOV, mais c’est une autre histoire).
Recentrons-nous sur le présent livre. Poèmes inédits donc, certains d’une
grande beauté, poèmes d’amour, mais aussi politiques. Mais MARKOWICZ ne les propose
pas sans un ordre très strict : chronologiquement, d’environ 1800 à 1850. Quelques
poètes étant présentés sur plusieurs décennies, s’ils ont eu la chance de tenir
la distance (ils ne sont pas très nombreux).
Dans ce volume, outre les poèmes et
l’Histoire russe, notamment politique, vous découvrirez des croquis de dessins
réalisés par les poètes eux-mêmes - parfois des autoportraits. MARKOWICZ nous
offre même en fin de volume un petit résumé par le biais de brèves biographies
des auteurs cités, mais aussi une courte mais très jolie chronologie de l’Histoire
russe dans la période qui nous concerne présentement. Ce bouquin est une vraie
leçon de recherche historique, de travail extraordinairement scrupuleux et
minutieux, d’une organisation parfaite, et d’humilité. MARKOWICZ est l’un de
ces personnages qui atterrissent de nulle part et font le boulot comme dix, qui
s’épuisent mais ne veulent surtout pas avoir le temps de se poser. Grand
respect.
Visiblement, c’est l’engouement pour le
roman, avec par ailleurs l’arrivée de poids lourds de la littérature dans la
toute fin de la première moitié du XIXe siècle (GOGOL et DOSTOÏEVSKI notamment)
qui a en partie enterré la poésie et les poètes avec. En attendant ce déclin,
MARKOWICZ, en fin historien d’une précision saisissante, auteur d’un travail
véritablement énorme, nous colle une fois de plus un uppercut avec son
érudition, sa passion, sa précision, ses détails et son envie de partager dans
ce que l’on pourrait voir comme une immense fresque. Elle parut en 2011 chez
Actes sud. Cela fonctionne merveilleusement bien. Merci André, vous être
décidément un sacré grand bonhomme !
(Warren
Bismuth)
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