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lundi 17 février 2020

Jean CASSOU « La mémoire courte »


Nous tenons là un vrai brûlot, chaud devant ! Paru initialement en 1953 aux éditions de Minuit, il se veut une réplique à la « Lettre aux directeurs de la Résistance » de Jean PAULHAN, publiée en 1951 déjà aux éditions de Minuit.

Ce texte est fractionné en plusieurs parties : Espagne, la France allemande, la Résistance, France. Il est aussi bref qu’offensif, voire virulent. Jean CASSOU est un écrivain déjà reconnu lorsque se déclenche la seconde guerre mondiale. Il va rapidement se positionner dans la Résistance. Fils d’une espagnole, il avait auparavant prêté main forte aux Républicains espagnols victimes du franquisme. Arrêté fin 1941, c’est pendant ses deux mois en captivité qu’il rédigera, uniquement par sa mémoire, le recueil de poèmes « Trente-trois sonnets composés au secret ».

Mais revenons à ce livre-dynamite dans lequel Pétain y est « Ce traître ». L’État français accusé de lâcheté bien plus que de négligence, bien sûr pour collaboration avec l’ennemi durant l’occupation, mais aussi, et peut-être en premier lieu, pour le non-interventionnisme contre FRANCO dès 1936, en plein Front Populaire. « AZAÑA (Président de la République espagnole nddlr) déclarait qu’il lui suffisait de cinquante avions pour étouffer la rébellion. Et il ne comprenait pas que la France, la France du Front populaire, sa France, hésitât un instant ». CASSOU  (1897-1986) est un auteur engagé, il fut proche du parti communiste français avant de s’en éloigner lorsqu’il condamna le stalinisme et se rapprocha de pays comme la Yougoslavie.

Pour l’heure, CASSOU attaque : après avoir pointé du doigt la France dans la dérive espagnole, il épingle l’État vichyste collaborateur et dénonciateur, mais aussi une partie du peuple qui lui a donné son aval. Parmi ceux-ci, les écrivains dits collaborationnistes. CASSOU s’enorgueillit d’avoir, dès 1938, écrit à Louis-Ferdinand CÉLINE qu’il était « Un saligaud ».

La Résistance, combat ô combien précieux pour CASSOU, qui a vécu par elle, pour elle. « Nous avons été des rebelles. Nous avons été aussi des malins. Nous avons préservé notre honneur. Nous avons fait les dégoûtés et mis des gants. Et à présent nous montrons nos mains propres, que nous n’avons pas voulu tremper dans ce cloaque où s’absorbait notre pays. Et c’est pourquoi aujourd’hui il ne nous reconnaît pas ».

CASSOU invective, avoine, remet les pendules à l’heure. Il évoque l’aristocratie française, celle qui avait le plus à perdre, il ne fait pas l’impasse sur celles et ceux qui ont fermé les yeux alors que lui et ses amis avaient pris le maquis. Il brocarde même la notion fallacieuse de suffrage universel. Et puis il imagine les traces qu’aura laissé le XXe siècle décidément délirant : « Le XXe siècle portera dans l’histoire le nom de siècle du totalitarisme. Jamais si épaisses ténèbres n’auront couvert le monde. Car le totalitarisme est un système qui, par sa prétention à tout embrasser, produit nécessairement l’obscurantisme. Il règle une fois pour toutes les méthodes de la pensée et en borne le domaine, il la fixe dans une orthodoxie, il l’ordonne à des fins tactiques ou de propagande ; ici il brûle des livres ; là il proteste contre ces autodafés au nom de la liberté de la culture, mais parce qu’à ce moment-là, dans cette conjoncture-là, la défense de la culture convient à sa stratégie ; ce n’est pas un principe, c’est un slogan, qu’il rejettera lorsqu’il ne lui sera plus utile, et en toute sérénité il se mettra alors à dire aux écrivains comment il faut faire des livres sous peine de déportation ».

Ce pamphlet est violent, nécessaire, c’est un grand coup de gueule ainsi qu’une piste pour comprendre un peu mieux l’Histoire. Il est aussi une manière de dire en quelques dizaines de pages seulement qu’il est intolérable d’entendre « On ne savait pas » ou « je croyais bien faire ». CASSOU n’est pas un ami de la langue de bois, il le prouve brillamment ici dans cet essai réédité en 2017 aux éditions Sillage et préfacé par Marc Olivier BARUCH. Comble du raffinement, il est à très bas prix, il n’est plus possible de passer à côté.


(Warren Bismuth)

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