Nous tenons là un vrai brûlot, chaud
devant ! Paru initialement en 1953 aux éditions de Minuit, il se veut une
réplique à la « Lettre aux directeurs de la Résistance » de Jean
PAULHAN, publiée en 1951 déjà aux éditions de Minuit.
Ce texte est fractionné en plusieurs
parties : Espagne, la France allemande, la Résistance, France. Il est
aussi bref qu’offensif, voire virulent. Jean CASSOU est un écrivain déjà
reconnu lorsque se déclenche la seconde guerre mondiale. Il va rapidement se
positionner dans la Résistance. Fils d’une espagnole, il avait auparavant prêté
main forte aux Républicains espagnols victimes du franquisme. Arrêté fin 1941,
c’est pendant ses deux mois en captivité qu’il rédigera, uniquement par sa
mémoire, le recueil de poèmes « Trente-trois sonnets composés au
secret ».
Mais
revenons à ce livre-dynamite dans lequel Pétain y est « Ce traître ». L’État français
accusé de lâcheté bien plus que de négligence, bien sûr pour collaboration avec
l’ennemi durant l’occupation, mais aussi, et peut-être en premier lieu, pour le
non-interventionnisme contre FRANCO dès 1936, en plein Front Populaire. « AZAÑA (Président de la République
espagnole nddlr) déclarait qu’il lui
suffisait de cinquante avions pour étouffer la rébellion. Et il ne comprenait
pas que la France, la France du Front populaire, sa France, hésitât un instant ».
CASSOU (1897-1986) est un auteur engagé,
il fut proche du parti communiste français avant de s’en éloigner lorsqu’il
condamna le stalinisme et se rapprocha de pays comme la Yougoslavie.
Pour
l’heure, CASSOU attaque : après avoir pointé du doigt la France dans la
dérive espagnole, il épingle l’État vichyste collaborateur et dénonciateur,
mais aussi une partie du peuple qui lui a donné son aval. Parmi ceux-ci, les
écrivains dits collaborationnistes. CASSOU s’enorgueillit d’avoir, dès 1938,
écrit à Louis-Ferdinand CÉLINE qu’il était « Un saligaud ».
La
Résistance, combat ô combien précieux pour CASSOU, qui a vécu par elle, pour
elle. « Nous avons été des rebelles.
Nous avons été aussi des malins. Nous avons préservé notre honneur. Nous avons
fait les dégoûtés et mis des gants. Et à présent nous montrons nos mains
propres, que nous n’avons pas voulu tremper dans ce cloaque où s’absorbait
notre pays. Et c’est pourquoi aujourd’hui il ne nous reconnaît pas ».
CASSOU
invective, avoine, remet les pendules à l’heure. Il évoque l’aristocratie
française, celle qui avait le plus à perdre, il ne fait pas l’impasse sur
celles et ceux qui ont fermé les yeux alors que lui et ses amis avaient pris le
maquis. Il brocarde même la notion fallacieuse de suffrage universel. Et puis
il imagine les traces qu’aura laissé le XXe siècle décidément délirant :
« Le XXe siècle portera dans
l’histoire le nom de siècle du totalitarisme. Jamais si épaisses ténèbres
n’auront couvert le monde. Car le totalitarisme est un système qui, par sa
prétention à tout embrasser, produit nécessairement l’obscurantisme. Il règle
une fois pour toutes les méthodes de la pensée et en borne le domaine, il la
fixe dans une orthodoxie, il l’ordonne à des fins tactiques ou de
propagande ; ici il brûle des livres ; là il proteste contre ces
autodafés au nom de la liberté de la culture, mais parce qu’à ce moment-là,
dans cette conjoncture-là, la défense de la culture convient à sa
stratégie ; ce n’est pas un principe, c’est un slogan, qu’il rejettera lorsqu’il
ne lui sera plus utile, et en toute sérénité il se mettra alors à dire aux
écrivains comment il faut faire des livres sous peine de déportation ».
Ce
pamphlet est violent, nécessaire, c’est un grand coup de gueule ainsi qu’une
piste pour comprendre un peu mieux l’Histoire. Il est aussi une manière de dire
en quelques dizaines de pages seulement qu’il est intolérable d’entendre
« On ne savait pas » ou « je croyais bien faire ». CASSOU
n’est pas un ami de la langue de bois, il le prouve brillamment ici dans cet
essai réédité en 2017 aux éditions Sillage et préfacé par Marc Olivier BARUCH.
Comble du raffinement, il est à très bas prix, il n’est plus possible de passer
à côté.
(Warren
Bismuth)
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