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mercredi 19 février 2020

Danielle BASSEZ « Aucune chanson n’est douce »


Une famille recomposée, décomposée plutôt. Le fils d’un premier mariage, mère décédée et père qui se remarie alors que le corps est à peine inhumé. Une belle-mère tyrannique. Enfin, surtout avec le fils, la pièce rapportée (le nouveau couple ayant eu d’autres enfants) : intimidations, aucune preuve de tendresse : « Elle ne le touche jamais. Ou seulement par nécessité, du bout des doigts, des ongles, quand elle lui lave les cheveux, qu’elle l’habille ; du plat de la main, quand elle le gifle. Elle le tient à distance ».

Cette belle-mère va se fracturer une main. Repos forcé. À la maison. Cette maison est un personnage à part entière de ce récit. Elle vibre, se décompose, le décor change, on aperçoit de moins de moins ce que fut le jadis, ce naguère sur lequel une chape de plomb s’est abattue. Un passé oublié, interdit, gommé. Le temps pourtant se fige, et la vie régresse, comme peau de chagrin. « Elle, à l’abri derrière le leurre du geste. Ne veut pas qu’on vienne l’y chercher, l’extraire, la ramener dans les complications, les affrontements. Plus envie de discuter. Veut qu’on lui fiche la paix. A droit au repos. D’abord, il y a longtemps, a fermé le rideau devant la porte de la véranda. Repoussé dehors les bêtes qui risquaient d’entrer, mouches, tortues, chats. Toujours détesté les chats. A descendu les stores, l’été, pour la chaleur. Ne les a plus relevés. A laissé dehors la lumière, le jardin. S’est mise à vivre dans trois pièces, puis deux, à l’étroit. La cuisine, le salon. L’hiver, adossée au frigo, dans le coin, contre le mur ».

Personne n’est nommé, pas de prénoms, ni de noms, un anonymat total, comme si cette histoire pouvait survenir partout, dans toutes les chaumières à tout moment. Indifférence impossible, ici il est bien question de haine réciproque entre un fils délaissé et une belle-mère enragée. Aucune place pour l’amour, la complicité.

La langue est froide, glaciale, percutante, petites phrases, nombreuses ponctuations, rythme rapide sans échappatoire, elle est pure et parfaitement ciselée, maîtrisée. Danielle BASSEZ réussit pleinement un court roman, celui de la désolation. Nous ne saurons rien de ce qui passe au-dehors de cette maison, à part quelques bribes au cimetière. Texte désespéré, sans solution, un peu Simenonien dans l’atmosphère poisseuse et puante, poussiéreuse et gluante. La comparaison s’arrête là. Car le style de Danielle BASSEZ est bien celui emprunté à la poésie, celle qui frappe, qui claque, qui laisse des rougeurs, celles des coups. Il n’y est bien sûr nullement question d’avenir ni de projection, à part celle de vouloir précipiter une tête – celle de l’autre - contre un mur. Suffocant.

« Au bout du lit, un berceau, et ce à quoi on ne s’attendait pas, un avorton rougeaud, qui laisse perplexe. Qui ne vous est rien, qui ne vous dit rien, qu’on n’a pas voulu. Dont on sent, vaguement, qu’il est un danger, qu’il vous nie, qu’il est là, comme une pierre posée sur une tombe, pour empêcher que les morts reparaissent. Mais que néanmoins, sur le champ, on est pressé de trouver admirable, d’aimer, d’embrasser, et vous voilà contraint de plonger dans cette moiteur écoeurante, remugle de couche et de bave, d’effleurer de la bouche cette face à odeur de lait ».

Roman paru en 2013 dans la collection Grands fonds de chez Cheyne éditeur, il ne vous réconciliera peut-être pas avec la race humaine, mais vous fera prendre conscience que l’écriture est une arme redoutable, qu’elle peut en quelques dizaines de pages vous déstabiliser, résonner en vous comme un cauchemar.


(Warren Bismuth)

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