Une famille recomposée, décomposée plutôt.
Le fils d’un premier mariage, mère décédée et père qui se remarie alors que le
corps est à peine inhumé. Une belle-mère tyrannique. Enfin, surtout avec le
fils, la pièce rapportée (le nouveau couple ayant eu d’autres enfants) :
intimidations, aucune preuve de tendresse : « Elle ne le touche jamais. Ou seulement par nécessité, du bout des
doigts, des ongles, quand elle lui lave les cheveux, qu’elle l’habille ;
du plat de la main, quand elle le gifle. Elle le tient à distance ».
Cette belle-mère va se fracturer une main.
Repos forcé. À la maison. Cette maison est un personnage à part entière de ce
récit. Elle vibre, se décompose, le décor change, on aperçoit de moins de moins
ce que fut le jadis, ce naguère sur lequel une chape de plomb s’est abattue. Un
passé oublié, interdit, gommé. Le temps pourtant se fige, et la vie régresse,
comme peau de chagrin. « Elle, à
l’abri derrière le leurre du geste. Ne veut pas qu’on vienne l’y chercher,
l’extraire, la ramener dans les complications, les affrontements. Plus envie de
discuter. Veut qu’on lui fiche la paix. A droit au repos. D’abord, il y a
longtemps, a fermé le rideau devant la porte de la véranda. Repoussé dehors les
bêtes qui risquaient d’entrer, mouches, tortues, chats. Toujours détesté les
chats. A descendu les stores, l’été, pour la chaleur. Ne les a plus relevés. A
laissé dehors la lumière, le jardin. S’est mise à vivre dans trois pièces, puis
deux, à l’étroit. La cuisine, le salon. L’hiver, adossée au frigo, dans le
coin, contre le mur ».
Personne n’est nommé, pas de prénoms, ni de
noms, un anonymat total, comme si cette histoire pouvait survenir partout, dans
toutes les chaumières à tout moment. Indifférence impossible, ici il est bien
question de haine réciproque entre un fils délaissé et une belle-mère enragée.
Aucune place pour l’amour, la complicité.
La langue est froide, glaciale, percutante,
petites phrases, nombreuses ponctuations, rythme rapide sans échappatoire, elle
est pure et parfaitement ciselée, maîtrisée. Danielle BASSEZ réussit pleinement
un court roman, celui de la désolation. Nous ne saurons rien de ce qui passe
au-dehors de cette maison, à part quelques bribes au cimetière. Texte
désespéré, sans solution, un peu Simenonien dans l’atmosphère poisseuse et
puante, poussiéreuse et gluante. La comparaison s’arrête là. Car le style de
Danielle BASSEZ est bien celui emprunté à la poésie, celle qui frappe, qui
claque, qui laisse des rougeurs, celles des coups. Il n’y est bien sûr
nullement question d’avenir ni de projection, à part celle de vouloir
précipiter une tête – celle de l’autre - contre un mur. Suffocant.
« Au
bout du lit, un berceau, et ce à quoi on ne s’attendait pas, un avorton
rougeaud, qui laisse perplexe. Qui ne vous est rien, qui ne vous dit rien,
qu’on n’a pas voulu. Dont on sent, vaguement, qu’il est un danger, qu’il vous
nie, qu’il est là, comme une pierre posée sur une tombe, pour empêcher que les
morts reparaissent. Mais que néanmoins, sur le champ, on est pressé de trouver
admirable, d’aimer, d’embrasser, et vous voilà contraint de plonger dans cette
moiteur écoeurante, remugle de couche et de bave, d’effleurer de la bouche
cette face à odeur de lait ».
Roman paru en 2013 dans la collection Grands
fonds de chez Cheyne éditeur, il ne vous réconciliera peut-être pas avec la
race humaine, mais vous fera prendre conscience que l’écriture est une arme
redoutable, qu’elle peut en quelques dizaines de pages vous déstabiliser,
résonner en vous comme un cauchemar.
(Warren
Bismuth)
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