C’est en traversant une ville qu’il a bien connue 25 ans plus tôt que le narrateur de ce nouveau roman de Raymond PENBLANC se voit revenir en pensée dans son adolescence. Tout d’abord il se perd dans la ville métamorphosée, puis fait connaissance avec un homme de 20 ans son benjamin dans un restaurant où il a échoué : Simon, cet inconnu qui semble être le double physique du narrateur et qui ne tardera pas à se comporter agressivement.
Simon entreprend une conversation avec le narrateur, celle-ci d’ailleurs surtout monologuée, qui fait rejaillir des situations anciennes à un interlocuteur propulsé à la période de sa jeunesse chaotique, violente, faite de sexe peu glamour, de bastons, d’alcool, d’intimidations et règlements de comptes. Et puis la figure de son ami Berg surgit, un camarade mort à l’âge de 20 ans.
Le narrateur arpente la ville comme il l’a arpentée jadis, et les images remontent encore dans un dédale structurel et de lieu : son statut d’enfant de choeur, le lycée, les bringues, les femmes, les errances, les embrouilles, etc. Chaque recoin de la ville semble être hanté par un épisode de jeunesse. Puis dans le présent, apparition d’une organiste qui va jouer un rôle essentiel.
Cette ronde de nuit pourrait être lue comme un condensé de la carrière littéraire de Raymond PENBLANC, tant les thèmes qui lui sont chers prennent encore ici une place de choix : description d’une ville et de ses merveilles architecturales, notamment religieuses, rôle de la peinture artistique (lire « L’âge de pierre »), errances, souvenirs de jeunesse (voir notamment « Phénix ») et de la musique classique, violence, érotisme, désir de renaissance, rôle de l’art, évolution urbaine (« L’âge de pierre »). Sans oublier une forte âpreté générale : « Il ne veut pas emprunter le chemin de plus en plus étroit et escarpé de la vie. Il ne veut pas d’une épouse, d’une maison, d’un métier. Il ne veut pas d’une canne, d’une barbe blanche, d’un grabat puant, il ne veut pas de ces mots qu’on s’arrache, de ces syllabes qui se télescopent et s’engluent sous la langue, de ce goût du sang dans la bouche, de cette urine le long des cuisses, de ces diarrhées qu’un sphincter mou ne retient plus ».
Mais dans ce roman, l’auteur semble avoir repris également d’anciennes scènes, ici remises au goût du jour : les graffitis éphémères de palissades (« L’âge de pierre »), la femme organiste qui pourrait bien tout faire basculer (« Miroir des aigles »), la figure de RIMBAUD aperçue lors d’une promenade (« L’égyptienne »), jusqu’à la ville arpentée qui pourrait bien être Aix-en-Provence (« Miroir des aigles » également). L’humour est présent, à petites doses injectées au détour d’une phrase.
Les scènes pouvant être pourtant considérées comme futiles sont très réussies : « Il devait être sept heures. Sept heures du soir sur une plage en fin d’été, et à cette heure ne venaient se baigner que ceux qui avaient choisi de se soustraire à l’humanité moutonnière, sinon à l’humanité tout court. Comme souvent à cette époque, le garçon était seul ; c’est donc en solitaire qu’il avait passé l’après-midi à écumer les rochers découverts par la marée basse. Sa pêche ne comptant qu’une douzaine de crabes verts, il les avait rejetés à la mer l’un après l’autre, testant au passage la qualité de leurs réflexes et la robustesse de leurs pinces, ne gardant qu’une poignée de petites galets blancs très lisses pour la décoration de son aquarium ».
Les (très) longues phrases se succèdent dans une écriture classique, poétique comme rugueuse, mais toujours précise, les monologues de Simon imbriqués dans la narration par des italiques, le style possédant sa propre identité très marquée, les indices distillés également. Le roman vient de sortir aux éditions Le Réalgar, maison à soutenir en ces temps de disette généralisée.
https://lerealgar-editions.fr/
(Warren Bismuth)
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