Dans le quartier Dely Brahim de l’ouest d’Alger de nos jours se trouve un terrain d’un hectare et demi servant d’aire de jeu à de jeunes désargentés. Des enfants d’une dizaine d’années y jouent au foot avec pas grand-chose, pour se rassembler, discuter, faire du sport ensemble. Seulement le terrain appartient au ministère de la défense algérienne et les militaires veulent le récupérer pour y construire des résidences. En effet, le quartier a été créé en 1987 par ce même ministère qui avait alors distribué des lots aux militaires.
Mohamed et Cherif sont deux anciens militaires aujourd’hui engagés en politique du côté de l’opposition, bien que Cherif soit un militant plus réticent car il occupe un poste en communication. Mais l’une des figures de ce quartier de la cité du 11-Décembre 1960 de Dely Brahim se prénomme Adila, elle a combattu pour l’indépendance pendant la guerre de libération. Femme engagée et dissidente, elle paraît influente et crainte.
Un bras de fer s’annonce entre les gamins de la cité et les militaires qui veulent récupérer le terrain, le tout sur fond de corruption dirigée par les responsables locaux, chefs des magouilles et distributeurs des rôles à jouer dans cette affaire. La révolte du quartier semble imminente : « A-t-on jamais vu en Algérie des généraux se montrer bienveillants à l’égard d’une révolte ? ».
Cette révolte gronde, elle est celle de la jeunesse algérienne contre un pouvoir miné par les pots-de-vin. Quelques drames ne vont pas tarder à se jouer avec des scènes que l’on croirait issues du passé : « Tiens, mouche-toi dans cette feuille de papier, il n’y a rien d’autre. C’est bon, tu t’es calmé ? On peut reprendre ? Allez, raconte, qui vous a prévenus tes copains et toi que les généraux étaient là ? Vous étiez dans le coin ? ».
Tout est permis dans un pays en déliquescence, et le pouvoir joue avec les moyens techniques mis à sa disposition : « On va faire comme d’habitude : création de milliers de faux comptes pour attaquer ceux qui diffusent, faire croire que c’est une fausse vidéo ». Tous les coups sont permis. Mais contre toute attente, ce sont les militaires qui finissent pas reculer…
Ces gamins du quartier représentent l’avenir de l’Algérie, les militaires le présent et la grand-mère Adila le passé. Cette dernière tient un carnet de souvenirs, historiques et politiques, du premier village algérien colonisé par les français en 1832 jusqu’à l’indépendance et même au-delà, des petites touches peintes pour comprendre l’histoire de l’Algérie. Ce carnet est sans doute le point culminant, les moments les plus poignants de ce roman par ailleurs fort et très bien mené. Les personnages sont bien campés, l’écriture alerte, et l’aspect historique très présent et raconté de manière concernée.
Kaouther ADIMI est une jeune romancière algérienne qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Son univers est certes politique, mais aussi intimiste, proche du peuple. ADIMI s’engage dans ce livre de 2019 contre la corruption du pouvoir algérien, de la première à la dernière phrase qui d’ailleurs résonne comme un avertissement : « Nos pieds sont enfoncés dans la boue. Nous ne bougerons pas ».
(Warren Bismuth)
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