Ce petit livre de 120 pages est bien plus
complexe qu’il pourrait paraître. 63 séquences, qui vont d’une demie à quelques
pages, se succédant sans répit. Dans ces séquences, des actions vécues par le
narrateur, souvent au côté de Claire (qui va pourtant disparaître puis
réapparaître, à Strasbourg, bref). Enfin, vécues, rien n’est moins sûr, une
partie pouvant se présenter sous forme de rêves ou de pressentiments, voire de
manière moins rationnelle.
Des textes à première vue absurdes voire
improbables ou surréalistes, seulement identifiables après une trop forte
consommation de psychotropes, à l’image de la couverture, le fameux
animal-bogue.
Il est question de portes qui s’ouvrent, se
referment, de transports en commun ou non, de corps démembrés, de baignoires
qui se remplissent toutes seules sans ensuite pouvoir se vider, des situations
impossibles mais burlesques. Car Pierre BARRAULT n’a pas oublié de se munir
d’une bonne boîte à humour. Les dialogues entre le narrateur et Claire sont
très drôles et vifs. La « toute petite fille » qui les accompagne
reste quant à elle muette.
Certains éléments présents dans une séquence
réapparaissent dans d’autres, ce qui est vrai aussi pour quelques personnages
ou leurs vêtements. Des personnages qui ne se trouvent jamais où ils devraient
être, dans des situations impossibles, des détails sans queue ni tête, sans
explication, pour des postures parfois beckettiennes. « Je suis dans la rue et ma jambe droite
remonte la rue sur le trottoir de droite tandis que ma jambe gauche la descend
sur le trottoir de gauche. À mi-chemin entre ma jambe droite et ma jambe
gauche, donc au milieu de la chaussée, mes bras font de grands moulinets, mes
poings gigantesques défoncent les parebrises et écrasent les automobilistes à
l’intérieur de leurs véhicules ».
En fait seule la version officielle ne peut
se permettre d’envisager une explication quelconque. Celle de l’auteur tient de
la physique quantique en mode gaz hilarants, de trous noirs farceurs, d’espaces-temps
libres. Et là tout devient possible. Si l’on ne se trouve pas à un endroit au
moment où l’on croit, mais plus tôt, ou plus tard, ou sous une autre forme,
alors tout peut être réécrit. C’est ce s’amuse à faire Pierre BARRAULT dans un
récit vitaminé et haletant, qui déconstruit les codes du genre. C’est grâce à
ce subterfuge qu’il lui est notamment possible de dialoguer avec Patrick Mc
GOOHAN dans la plus kafkaïenne des séries : « Le prisonnier ».
Ceci jusqu’à la « Catastrophe ultraviolette ».
« Claire
me montre les photos qu’elle a prises lors de la visite de notre futur
appartement, puis elle déclare que nous mettrons le canapé là, ou plutôt ici,
et la bibliothèque ici, contre le mur du fond. Je l’arrête immédiatement :
on ne peut pas mettre la bibliothèque contre le mur du fond puisqu’il y a déjà
l’agent immobilier. Mais Claire lève les yeux d’un air agacé et me répond qu’il
va dégager. Alors c’est jouable… ».
Livre inclassable et maudit puisque ajourné en mars dernier pour cause de confinement, et peinant à sortir aujourd’hui pour cause de reconfinement, jamais une « Catastrophe » n’aura aussi bien porté son nom, à moins que là aussi, la physique quantique ait agi d’une manière discrète mais efficace. Ce texte est cependant disponible chez Quidam éditeur qui vient de le faire paraître.
(Warren
Bismuth)
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