S’il est inutile de revenir sur cette longue nouvelle où un homme entre peu à peu dans la démence au quotidien, nouvelle très connue et par ailleurs extrêmement bien construite dans une ambiance gothique et terrifiante à la manière d’Edgar Allan POE, il est en revanche intéressant de s’arrêter quelque peu sur cette curieuse édition de Tendance Négative parue en 2019.
Il existe deux textes originaux du « Horla », c’est le second, celui de 1887, qui a été ici retenu. « Le horla » est habité d’une atmosphère de folie, embrouillée, embrumée, qui va crescendo. Les éditions Tendance Négative désirait mettre en valeur cette montée en puissance vers la perte de repères et de cohérence. Et force est de reconnaître que l’objet proposé est à la hauteur.
Cette édition est basée sur les sensations visuelles : une page imprimée, certes, mais précédée à chaque fois de deux feuilles de calques, ce qui donne une page de texte d’aspect classique mais imprimée sur trois pages. Le début de la nouvelle étant sans aspérités, les calques sont sobres : découpages plus ou moins en paragraphes, de manière équilibrée. Pour la lecture, ce choix s’avère déconcertant : il faut attendre d’avoir lu toute la page, c’est-à-dire les deux claques plus la page papier imprimée, pour tourner ensuite trois pages d’un coup.
La présentation du livre l’annonce
bien : « Utiliser des claques
pour matérialiser cet être transparent et son influence nous est apparu comme
une évidence. Cette matière brouille la lecture comme le Horla brouille la
vision du narrateur. Les paragraphes, les phrases et les mots s’éparpillent au
rythme des angoisses du personnage. Les calques, qui fonctionnent ici par
paires, permettent aussi de renforcer l’hypothèse de son probable dédoublement
de personnalité ».
Ce qui est imprimé sur la page papier étant précédé de deux calques, la lecture de cette troisième feuille est moins aisée, plus floue, ceci revêt une certaine importance lorsque le récit se faisant plus angoissant, l’impression des mots se fait plus « explosée », ne suit plus de logique, présente une certaine confusion, comme dans le cerveau malade du personnage central du « Horla ». La lecture devient hachée, déconstruite, des gouttes de sueur semblent se former sur nos fronts, la vue semble se brouiller, les images s’obscurcir. La tête finit par tourner, et l’on se sent au cœur même de cette nouvelle teintée de fantastique et d’épouvante.
Tendance Négative est une minuscule maison d’édition : cinq titres classiques visuellement revisités à leur catalogue à ce jour. Cette édition moderne permet d’appréhender « Le horla » d’un œil nouveau et d’éveiller des sens parfois en veille lors d’une lecture. Pour redécouvrir ce texte incontournable, rien de tel qu’une parution qui le met en valeur. Et c’est une très originale idée de cadeau, dont je fus par ailleurs l’heureux bénéficiaire.
https://www.tendancenegative.org/
(Warren Bismuth)
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