Pour commémorer les 150 ans de la Commune de
Paris, rien de tel qu’un bon vieux bouquin en faisant état, et de surcroît
sorti chez Libertalia. On part sur de bonnes bases. Mais contrairement à ce que
l’on pourrait croire, ce récit de vie n’est pas un témoignage sur la Commune.
Enfin, pas seulement. « Je laisse
aux historiens le soin de raconter l’histoire officielle de la Commune, comme
je l’ai fait pour le premier siège. Je limite mon récit à ce qui m’est
personnel ».
Victorine BROCHER (1839-1921) est âgée
d’environ 70 ans lorsqu’elle décide d’écrire ses mémoires au début du XXe
siècle. Cette ouvrière, femme issue du peuple, fait état d’un vécu assez
singulier : fille d’un militant de la révolution avortée de 1848,
Victorine en a cependant plus qu’entrevu la révolte, fillette parfois juchée
fièrement sur les épaules du papa en pleine manifestation, elle n’en a pas
perdu une miette et peut raconter des décennies plus tard.
Mais ce témoignage est très loin d’être une
autobiographie. Au contraire, soucieuse de retranscrire ce qu’elle a vu dans
son parcours de lutte, Victorine s’oublie, parlant des autres, de celles et
ceux qu’elle considère comme des braves, des justes. Elle ne fait que peu
référence à elle.
Et nous voilà embarqués dans l’épopée
sociale de la seconde moitié du XIXe siècle, rien de moins ! Car après
1848, il y a les privations, les combats, les débrouilles, les souffrances, la boulangerie
coopérative que Victorine cofonde à la fin des années 1860, la débâcle
militaire de 1870, la famine toujours, et la proclamation de la Commune de
Paris ce 18 mars 1871. « Le suffrage
universel avait légalisé le drapeau rouge de l’émeute. Les membres de la
municipalité parisienne allaient siéger pour la première fois depuis 1793.
Cette fois nous avions la Commune ! ».
Dans ce récit écrit par une femme non
lettrée, sans instruction poussée, c’est le peuple qui parle, celui qui a
souffert, mais aussi lutté pour sa liberté. Victorine BROCHER raconte
méthodiquement les années qui ont précédé La Commune et amené à son
déclenchement irréfutable. Toutes ces années de luttes et d’injustice dans un
Paris exsangue. D’elle, de sa vie, Victorine en dit peu : mari fait
prisonnier en 1870, et elle qui a un don pour soigner. Elle sera ambulancière
pendant le siège de 1871.
Récit teinté d’un grand humanisme, il est
rédigé en style direct, sans recherche littéraire, mais veut être lu comme un
témoignage, qui de fait est très précieux. La République maintes fois en
danger, « Chère République, que de
crimes on a commis en ton nom ! », glorifiée sous la Commune.
Pourtant, du déroulement de cette Commune, nous ne saurons pas grand-chose, à
part ce que Victorine a réellement vu. Elle nous livre tout ceci comme si avant
tout le monde elle avait eu une caméra vissée sur le crâne et nous en
restituerait la sève.
Victorine BROCHER est une humaniste qui
souffre avec le peuple, mais ne perd jamais espoir. Malgré les nombreux
fusillés sans jugement, comme ça, pan ! Une cartouche versaillaise. Elle
rencontre furtivement Louise MICHEL, ne paraît pas impressionnée, elle a mieux
à faire, soigner, encore et toujours.
La préciosité du récit réside dans le fait
que, non seulement Victorine avait vécu 1848 et ses conséquences, mais aussi
fait partie des derniers combattants sur les barricades communardes. Jusqu’au
dernier jour, le funeste 28 mai 1871. Elle s’est occupé des blessés et des
morts durant une semaine dans les rues de Paris, n’a pour ainsi dire rien vu de
la semaine sanglante. Mais elle est là, fière et déterminée. Elle ne se mettra
pas en avant, d’ailleurs ce récit sera écrit anonymement, son nom ne figurera
pas sur la première édition de 1909.
Témoignage réédité en 1976, les éditions Libertalia s’en emparent en 2017 pour lui offrir une nouvelle vie, et quelle vie ! Pourquoi ce titre ? C’est à la fois simple et sinistre. En 1871, une femme qui ressemblait physiquement à Victorine BROCHER fut exécutée à sa place. Même la famille de Victorine a cru à sa mort. Elle était donc vivante mais officiellement morte. Ainsi, elle s’enfuit en Suisse après les massacres de mai. Elle laisse un témoignage unique, celle d’une femme au cœur de l’agitation sociale du XIXe siècle, document complémentaire aux indispensables deux grands classiques sur la Commune de Paris : Louise MICHEL « La Commune » et Prosper-Olivier LISSAGARAY « Histoire de la Commune de 1871 ».
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren Bismuth)
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