En 1970 dans l’Etat de l’Idaho au nord-ouest des Etats-Unis, une virée de trois jeunes gens d’une vingtaine d’années tourne au drame : Ward tue accidentellement par arme à feu sa petite amie Gwen sous les yeux de son frère jumeau à elle, Eric.
1994, Eric est devenu musicien professionnel, il s’occupe d’arrangements de parties d’enregistrements ratés d’autres artistes. Parallèlement il est criblé de dettes. 1998 ; Eric et Ward se recroisent, près de vingt ans après la tragédie. Ward est marié à une femme très pieuse, Lorraine, avec laquelle il a trois enfants quasi sur la frontière des Etats du Wyoming et du Montana, Eric toujours en dérive, musicale, affective et financière. Les deux hommes sont tendus, il va falloir revenir sur le passé, reparler de l’inexorable. Ward invite Eric à une partie de chasse au cerf en plein cœur des majestueuses Bighorn Mountains.
« Canyons » est un roman lent, sombre, froid. Samuel WESTERN ne s’embarrasse pas de mots complexes, c’est dans la simplicité d’un vocabulaire, dans un style précis, sans fioritures qu’il déroule son intrigue. Si ses personnages ne sont pas particulièrement touchants, ils représentent bien une partie des citoyens des U.S.A., avec leur passé enfoui, leur relation parfois intime et embarrassante avec la religion, avec leur fascination pour les armes à feu, leur volonté de faire justice eux-mêmes.
Ce roman est aussi celui de la rédemption : comment faire face au souvenir d’un vieux drame nous revenant de plein fouet ? Il interroge sur l’isolement dans une région rurale, sur la faiblesse de l’homme, sa fierté : « Eric attrapa la glacière. En s’éloignant, il fut soudain pris de vertige. Il ralentit le pas, la glacière claquant contre ses cuisses. Lorsqu’il atteignit la sellerie, il avait la nausée. Il posa la glacière et s’agenouilla sur le sol en caoutchouc, les coudes sur le couvercle. Il ne voulait pas que Ward le voie dans cet état ».
« Canyons » est enfin un roman sur l’amitié, le pardon. La fin du texte est par ailleurs empreinte d’une forte religiosité, ce qui peut heurter un athée irrécupérable comme moi. Néanmoins, ce roman est fort, à la fois glaçant et plein d’enseignements. Il sait regarder au dehors et Samuel WESTERN décrit merveilleusement la nature sauvage, notamment lors de la fameuse et longue séquence de chasse au cerf.
Attention, âmes sensibles s’abstenir : une longue description du dépeçage d’une biche au cœur du récit n’est pas de tout repos. Mais l’ensemble de l’histoire est addictif, presque paradoxalement, tant nous avons du mal à prendre en pitié les protagonistes, et pourtant avec ce quelque chose proche de l’empathie qui se déclenche, et l’on a envie de les suivre tout au bout de leur périple. La figure de Lorraine, entre sainte énervante et grâce non assumée, bien qu’écrasée par les deux hommes, surnage et fait bien plus que de la figuration, entre deux types qui aiment échanger sur la philosophie, celle de la théorie, mais surtout celle de la vie, sur le terrain, fut-il accidenté. En résumé, un très bon millésime de Gallmeister, ici traduit par Juliane NIVELT. Paru en 2015 aux Etats-Unis avant une édition française en 2019, il entre pile dans ces romans d’atmosphère à lire en été, ce qui tombe bien.
https://www.gallmeister.fr/
(Warren
Bismuth)
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