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mercredi 17 août 2022

Vinnie TWOPENS « Dès Ciney c’est gagné » 3/3

 


Achet est le théâtre d'âpres duels volatiles, voici que j'assiste à la bataille d'un passereau avec son propre reflet dans un rétroviseur de voiture. Je décolle de la banquette avec la sensation cuisante de marcher sur des lames de couteaux et avance vers un somment en pente douce. Des papillons virevoltent autour de moi, les oiseaux batifolent quand j'arrive à une petite et coquette maçonnerie avec une statue de la vierge. Un bouquet et une bougie me laissent penser que ce lieu est entretenu à tel point qu'il y a même deux chaises. Comme si des grenouilles de bénitier avaient l'habitude de venir ici confortablement se confesser.

 

Hamois apparaît au creux du vallon en face recouvert de tapis jaunes et mauves. D'agréables effluves de corydales et ficaires saluent mon arrivée dans le patelin. Un vieillard somnole derrière sa porte-fenêtre entrouverte au son des croassements lugubres des corneilles qui tournoient dans l'azur. Je franchis encore le Bocq. L'office du Tourisme est fermé et encore une fois le manque d'accès à l'eau potable se fait sentir paradoxalement à la présence de toutes ces rivières, ruisseaux et rus. Obligé d'aller quémander de l'or bleu à l'officine locale. Je m'autorise une halte à la terrasse lumineuse de la Taverne Restaurant Le Tramino pour un coca et une clope qui m'étourdit quelque peu. Des vieux sirotent leur bière au comptoir en taillant le bout de gras, deux quinquagénaires cyclistes arrivent et commandent des Chimay Blanches. Il me reste une douzaine de kilomètres pour atteindre Ciney. Je profite du coup de boost du sucre du soda pour me remettre en route.

Par le ravel à l'emplacement de l'ancienne gare, je longe un wagon-restaurant gastronomique et quitte Hamois sur la pointe des pieds. Les méandres gracieux du Bocq dessinent le paysage en contrebas, je m'éloigne du concert des corvidés ondoyants tandis que les clochent de l'église Saint Pierre et Paul sonnent dans mon dos 14h30. Des mouchettes tourniquent autour de moi, sans doute attirées par mes relents de plus en plus prononcés de transpiration. Des éoliennes sont plantées dans le panorama avec en avant plan des vagues de boue de terre labourée figées par la sécheresse.

Brusque changement de cap à gauche pour décroître vers Emptinne. Ce nom sonne vide à mes oreilles habituées à l'anglais... J'aperçois au sud-ouest par delà le vallon la paroisse caractéristique de Ciney. Ma première rencontre avec le village se fait avec un groupe grisâtre de maisons modernes. Peut-être est-ce pour rester dans le ton des vieux foyers en pierre du pays qui s'étendent autour de l'église au clocher octogonal. Je me sustente d'une mandarine au pied de ce dernier au milieu des chiures de pigeons. Mes épaules sont lasses de mon bagage bien trop pesant et rechignent un peu devant les 6 derniers kilomètres.



Après avoir enjambé une dernière fois le Bocq, j'emprunte quelque peu le ravel en passant par un tunnel sous la Nationale 4.

Des tags grossiers recouvrent ses murs, souvent la médiocre signature d'un raté en quête de reconnaissance. C'est dingue ce besoin de toujours laisser des traces insignifiantes de son passage mais qui gâchent le vagabondage des yeux.
Je l'avais repéré de loin cette grimpette qui gravit l'autre flanc de la cuvette vers un zoning terne faisant la réclame de la Mai­son idéale. Je préfère encore être sdf si telle est LA demeure de rêve.

Tout en philosophant tout haut sur cette variété de crotte de nez qui colle opiniâtrement aux doigts et ayant réussi à m'en débarrasser d'une chiquenaude, je sursaute à l'appel d'une sonnette de vélo.

- Comment ça va ?

Je ne connais pas la locutrice et devant mon air interrogateur elle poursuit:
- ...depuis toute à l'heure ?

Je comprends qu'il s'agit d'une des deux vélocipédistes croisée plus tôt à la taverne hamoisienne.
A ma démarche échinée, elle m'invite au repos chez elle et me propose même de m'emmener à la gare en voiture. Elle acquiesce à mon refus obstiné et comprend mon entêtement à vouloir aller jusqu'au bout m'interrogeant même sur les origines de mon accent suisse (sic).

Elle prend congé en me souhaitant du courage pour atteindre ma destination finale par mes propres jambes.




Redescente jusqu'au Ravel, encore !? Je traverse une Nationale pour parcourir un chemin caillouteux le long d'un autre domaine Vivaqua. Je gravis encore une affreuse route sur un étroit accotement, les voitures me frôlant à toute vitesse. Le beffroi cinacien se rapproche toujours plus derrière le triste spectacle d'un entrepôt puant les produits chimiques. Un sentier longe le grillage pour traverser une voie ferrée désaffectée et dans un ultime raidillon, je pénètre enfin la capitale condruzienne. Je rejoins la Place Monseu point de départ et d'arrivée du GR 575/576.
Je n'ai même pas le temps de profiter d'une Ciney sur l'espla­nade car il me reste encore 1 km à avaler pour atteindre la gare m'amenant au total 33,1 km en 9h30 pour cette journée. Je me rabats sur l'épicerie attenante à la station mais elle n'a même pas ce nectar local au frais !

Une honte ! Face à une marée humaine, je gagne les quais clopinant toujours plus et prend le train jusque Namur. Sur place, la correspondance ne tarde pas à me conduire à Huy. En quittant le tortillard j'ai l'impression de devoir parcourir une étendue goudronnée infinie avant de déposer mon postérieur sur un banc devant la gare hutoise. Je résiste à la tentation de m'abreuver au Buffet de la Gare préférant bouquiner une demi-heure avant l'arrivée du dernier bus 126A.


J'ai oublié mon titre de transport et espère me fondre dans la masse à l'ouverture des portes. Mais je suis le seul passager et le chauffeur ne tarde pas à s'enquérir de ma destination.

Goguenard il me laisse prendre place m'avertissant juste que je devrai assumer les conséquences en cas de contrôle.

Quel contrôleur perdrait son temps en ces heures vespérales sur des lignes rarement empruntées et vouées à disparaître ?


Il est 20h00 quand pour finir, je retrouve en boitant la place de Grand Marchin, 32 heures après l'avoir quittée avec au total 59,6 km dans les pattes avant de regagner mes pénates.



Cette double boucle de Grande Randonnée avec ses variantes totalise près de 360 km à travers le Condroz namurois et liégeois. Il m'aura fallu 12 jours en tout pour le parcourir totalement. Probablement moins sexy et fréquenté que le GR 16 par exemple qui voit des hordes de marcheurs envahir les méandres de la Semois à la belle saison. Peut-être peut-on expliquer cela par son accès difficile même avec les transports en commun. Il faut une organisation millimétrée pour se rendre aux points de départ et repartir des arrivées, enchaînant parfois plusieurs bus clairsemés et trains.


Je comprends que les boucles à la journée ou de quelques heures ont la côte, mais parcourir l'entièreté de ces chemins au long cours relèvent un peu du défi...
Pour mieux profiter du calme, doit-on se réjouir du sentiment de déréliction ou s'alarmer du manque d'intérêt croissant pour la marche (quoique la crise du covid ait provoqué un regain de sympathie pour cette activité) ? Déracinée de la Terre, la société devient de plus en plus technologiquement interconnectée. La fonction créant l'organe, bientôt nos jambes disparaîtront au profit de doigts agiles qui glissent sur un écran de smartphone.

 

Vinnie TWOPENS

lavidanche@hotmail.com

- Avril 2022 -



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