Ce petit livre paru en 2018 est un recueil de textes de Fernando PESSOA sur ses impressions alors qu’il arpente sa ville natale, Lisbonne, celle même où il sera emporté en 1935. PESSOA a passé son enfance sur les bords du Tage et des images fortes lui sont restées, il s’en confie ici. Certes, il a vécu en Afrique du sud de 1896 à 1905, mais cette année-là il revient dans la capitale portugaise pour ne plus jamais la quitter.
L’œuvre de PESSOA est vertigineuse par le nombre de feuillets laissés (et retrouvés pour la plupart dans une malle à sa mort). Ce livre est un hommage appuyé à Lisbonne et à ses habitants. PESSOA observe et retranscrit à sa manière ses émotions. Nous sommes loin de son « Livre de l’intranquillité » par exemple, ici c’est un PESSOA tantôt contemplatif, tantôt empreint de nostalgie ou de son éternelle introspection, qui rédige une prose dans un style comme toujours poétique. Il signe parfois de son propre nom (sa fameuse orthonymie) mais aussi sous certains des noms des auteurs qu’il a montés de toutes pièces, ses hétéronymes, chacun dans un style qui lui est propre.
L’hétéronyme le plus proche de PESSOA est Bernardo Soares, « l’auteur » du « Livre de l’intranquillité ». Nous retrouvons dans ce recueil un projet de préface à ce livre, mais aussi un extrait de « Message », le seul publié du vivant de PESSOA et écrit sous son nom, l’hétéronyme Álvaro de Campos étant représenté avec deux poèmes. Cependant, la majorité des extraits assemblés ici sont bien signés PESSOA.
Le PESSOA qui souffre du mal de vivre, du mal de mort, n’est jamais bien loin : « J’ai envie de hurler dans ma tête. Je veux arrêter, écraser, réduire en miettes cet impossible rouleau gramophonique qui résonne en moi dans une autre maison, intangible bourreau. Je veux ordonner à mon âme d’arrêter, pour qu’elle puisse, tel un véhicule déjà occupé, continuer seule et m’abandonner. Je deviens fou à force de l’entendre. Et finalement c’est moi, dans mon cerveau odieusement sensible, dans ma peau pelliculaire, dans mes nerfs à vif, c’est moi qui suis ces touches frappées en d’incessantes gammes, ô ce piano horrible et personnel de ma mémoire. Et toujours, toujours, comme si une partie du cerveau devenait autonome, résonnent, résonnent, résonnent en bas, là-haut, les gammes de la première maison de Lisbonne que je suis venu habiter ».
PESSOA scrute « sa » ville, celle qu’il connaît par cœur, lui le casanier solitaire qui voyage certes beaucoup, mais surtout dans son esprit. « Si vous détenez la vérité, gardez-la ! ». Puis il trouve l’inspiration dans cette impasse au nom presque choisi pour lui, celle du Parle-Tout-Seul. PESSOA écrit sur les quartiers populaires et leur ambiance villageoise, il aime sa ville, pour lui c’est LE monde, nul besoin d’aller fureter en d’autres lieux, l’imagination s’en charge.
Il dépeint, lentement : « Les maisons s’inégalisent dans un agglomérat retenu, et le clair de lune, maculé d’incertitude, traîne sa nacre sur les mornes secousses de la confusion. Il y a des toits de tuile et de la nuit, des fenêtres et du Moyen-Âge. Nulle part pour les faubourgs. Une lueur de lointain flotte sur tout ce que l’on voit. Par-dessus l’endroit où je regarde, il y a des branches noires d’arbres, et je porte le sommeil entier de la ville dans mon cœur dissuadé. Lisbonne au clair de lune et ma fatigue du lendemain ! ».
Une longue et très soignée préface de Maria José DE LANCASTRE et une introduction riche de Joanna CAMEIRA GOMES viennent nous éclairer sur la chronologie de la biographie de PESSOA, la construction de son monde imaginaire, mais aussi sur les choix des extraits présents dans ce recueil. Elles nous confient également quelques éléments d’importance sur l’enfance du poète, notamment ce premier hétéronyme, le Chevalier de Pas, alors qu’il a tout juste… 6 ans ! Ouvrage paru en 2018 aux éditions Chandeigne, spécialisée en littérature portugaise, c’est aussi Michel CHANDEIGNE qui, en spécialiste de PESSOA, en a traduit ici les textes.
« Je ne trouve la sérénité que là où j’ai été ».
https://editionschandeigne.fr/
(Warren Bismuth)
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