Je ne
m'attendais pas à avoir autant de peine dans un acte aussi primitif que celui
d'allumer un feu alors que je suis muni d'un briquet. Un emballage de pain et
des branches de sapin me servent d'allume-feu, très vite il s'éteint. Je
ramasse plus de petit bois et avec l'aide d'encore quelques rameaux de
conifère, une belle flamme jaillit de l'obscurité. Un reste de riz et de chili
préparé la veille réchauffé dans ma vieille gamelle sur le réchaud me servira
de repas. Cette roborative pitance auprès du feu me déglace mal assis sur mon
imperméable. Le bois de sapin de mes maigres fagots se consume vite.
Repu, j'éteins ma frontale et profite du spectacle des étoiles bien visibles
loin des villes. Cela faisait un bout de temps que je ne m'étais plus laissé
aller à la contemplation de la voie céleste.
N'y
connaissant pas grand chose en astronomie, je repère seulement la Grand Ourse
mais me délecte quand même de cette multitude de points lumineux de l'infini.
Je profite des dernières calories émises par les ultimes braises mourantes tout
en bouquinant. Une miction met un point final à la crémation et je me glisse
dans mon sac de couchage.
Attentif aux moindres bruits, je n'arrive pas vraiment à trouver le sommeil
entre le bêlement lointain d'une chèvre, le vrombissement des avions qui
passent au dessus de ma tête toutes les dix minutes et les rares voitures sur
la route proche. Ces sons s'espacent de plus en plus à mesure que la nuit
avance.
J'ai
carrément l'impression de ne pas dormir du tout, essayant de trouver une
position confortable sur ce sol inégal et quelque peu pentu. Le froid se fait
des plus mordants vers la fin de la sorgue et l'empilement de ma garde-robe au
complet n'aura pas raison de mes frissons.
A la
limite de mes facultés thermiques, l'aube finit par pointer le bout de son nez
d'abord avec la mélopée du rouge-queue noir puis du rouge-gorge et du merle. Je
me mets à me demander si les oiseaux n'ont jamais froid ? Le piaillement du
faisan se joint au concert de l'aurore. Il est maintenant 7h00 et il va falloir
donner un grand coup de motivation pour m'extraire des plumes et enfiler mes
vêtements humides, chausser mes bottines trempées par la rosée.
Grelottant,
je fais chauffer un café soluble que j'avale avec deux barres de muesli. La
brume rampe à l'horizon lorsque y surgit soudain le soleil. Son ascension pour
s'extraire du lointain est fulgurante et déjà ses rayons me parviennent. Malgré
tous ces inconforts de la nuit, il n'y a que comme ça, me dis-je, qu'on peut
assister au réveil de la nature et presqu'en faire partie.
Je
remballe mon sac de couchage et secoue la toile de tente pour lui ôter son
collier de perles de condensation. Son repliage complet achèvera ma remise à
niveau calorifique.
A 8h00,
le beffroi résonne, mon exode est imminent. J'enjambe quelques plaques de givre
qui jouent à cache-cache avec le roi des astres. Brassant les herbes mouillées
de mes pas, je rejoins le tracé du GR foulé la veille pendant 1km jusqu'à
l'église de Failon. Je m'enfonce dans les brumes du vallon et des bois. La
partition du récital avien débutée à l'aube comporte maintenant toutes les
portées de l'orchestre, rythmée par les percussions des pics. Je m'avance dans
une mise à blanc rendue fantomatique par le brouillard. Tels des corps sur un
champ de bataille, des souches jonchent le sol éventré. Arrivé au hameau de La
Foulerie et ses longues maisons en grès, je descends encore un peu plus à flan
de colline dans le val. Ces sentes foulées jadis par Marie Pirsoul la reine
des sorcières, auraient été le théâtre de ses rencontres avec le Diable.
Des charmes et sortilèges se dégageraient encore de la ravine, peut-être ai-je
croisé le chemin du Diable en voyant un lapin détaler à l'instant ? Version
plus pragmatique, elle fut sans doute simplement une femme émancipée du joug
patriarcal, une "originale" qui prodiguait des remèdes à base de
plantes pour aider les gens.
Elle fut brûlée vive par l'inquisition le 31 mars 1652 il y a presque 370 ans
jour pour jour. Des habitants de Failon ont depuis 2012 lavé la mémoire de
Marie en la requalifiant de martyre, de grand mère.
Je franchis la Somme et entame l'ascension d'un sentier encaissé. Les premières
gouttes de sueur de la journée perlent et me picotent les yeux. Au sommet un
rapace m'observe du haut d'un tas de fumier. Des tronçonneuses entonnent au
loin leur macabre requiem sylvestre.
Tournant
de 90° à droite pour pénétrer sur le tige de l'impressionnante propriété de
Ramezée et son château du XVIIIème siècle marquant la limite entre le Condroz
et la Famenne.
Un
étrange pavillon octogonal dénote au milieu de cette abondante diversité
d'essences, de haies taillées avec soin et de pelouses rasées de près. De
précis élagages dans ces palissades végétales de thuya laissent parfois
entrevoir la vaste bâtisse. De l'autre côté de la drève apparaît au bout du
paysage le début des forêts de l'Ardenne nimbé d'évanescents nuages.
Un
majordome qui se prélasse dans sa mini-jeep absorbé par son smartphone ne fait
même pas mine de tourner la tête à mon passage. Sûrement est-il harassé par la
masse de travail que demande l'entretien d'un tel espace ?
Tout en m'éloignant de cette nature domptée à travers un boqueteau je
m'approche du Chêne au Gibet. Vénérable arbre classé de 5,5 m de
circonférence auquel furent pendus quelques brigands du XVIIIème siècle.
Juste
après dans une trouée alignée de miradors, je me mets à spéculer sur le gibier
qui en cet endroit n'a aucune chance de salut. Quels stratagèmes l'Homme
déploie pour satisfaire son goût du sang ! Quelle fierté peut-on tirer d'une
pseudo régulation des espèces dites nuisibles quand on nourrit, élève des
animaux pour justifier leur abattage ? Un peu comme à la fête foraine où
"on repart toujours gagnant".
Plus loin
même constat devant ces savants aménagements d'écluses et de chenaux qui
alimentent des marais d'aquiculture.
A l'orée de Barvaux en Condroz, comme pour appuyer mes réflexions, rencontre
inattendue avec 2 gros sangliers en virée. Un homme leur parle et leur ordonne
de rentrer dans l'enclos orné de ferronnerie cynégétique. Je longe une route
jusqu'à l'église et un modeste monument aux morts. Une dame sourit en relevant
son courrier. Un remboursement qu'elle n'espérait plus ? Des nouvelles de
parents éloignés ?
Une voie
en asphalte cabossé me mène jusqu'à Porcheresse, charmant village aux maisons
en vieilles pierres. Je me gratifie d'une plus longue pause sur un banc près de
l'église pour manger une banane et même me faire chauffer un caoua. Après
seulement 11,2 km, mes arpions commencent à se faire sonner les cloches.
Tendant l'oreille à ce tintinnabule plantaire douloureux, je me maudis d'avoir
enfilé hier matin ces vieilles chaussettes de l'armée en laine qui n'adhèrent
pas bien aux pieds.
S'ensuit de grandes étendues de labours à perte de vue. Négligeant la variante
vers Mozet (j'y reviendrai), je m'engage dans de longues lignes droites
rébarbatives parfois égayée par la traversée d'une futaie.
Re-ligne
droite avant un beau chemin forestier qui s'élève vers les crêtes. Les champs
retournés sont recouverts d'une poudre grisâtre comme du ciment. Dès que je
dépose mon sac, j'ai l'impression de m'envoler. Je bifurque devant le bourg de
Scoville où je n'aperçois pas d'échelle…
Le
village d'Achet se dévoile, un couple d'étourneaux se chamaille, l'accent du
"bonjour" sonne déjà dinantais. Je traverse le Bocq pour me reposer
sur un banc face à une chic demeure près de l'église pour dîner de tartines.
Tiraillé entre la performance et la flânerie, je m'interroge sur la faisabilité
d'atteindre Ciney en 3h alors qu'il me reste 16km à parcourir. Je décide que je
ne vais pas cavaler et simplement profiter des paysages, du beau temps et
peut-être même d'un verre en terrasse si l'occasion se présente.
(Vinnie
Twopens)
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