Avant de présenter ce livre de poésie, il est nécessaire de revenir sur le parcours de Ali COBBY ECKERMANN, « poète aborigène issue des peuples Yankunytjatjara et Kokatha. Née en terre Kaurna en 1963, elle appartient à la « génération volée », celle des enfants australiens aborigènes qui ont été enlevés à leurs familles par des agences gouvernementales ou des missions religieuses. Adoptée alors qu’elle était bébé par la famille Eckermann, elle reprit contact avec sa mère à l’âge adulte ».
Ainsi que l’annonce la page de garde, « Ruby Moonlight » ne se veut pas un recueil de poésie, mais « Un roman sur l’impact de la colonisation en Australie du Sud dans les années 1880 ». Il est toutefois une suite de poèmes en vers libres, chaque titre de ces 69 poèmes ne comportant qu’un seul mot et chaque poème présenté sur une page. Mais tous sont solidaires, soudés ensemble, pour un résultat contant une vraie histoire.
Ali COBBY ECKERMANN écrit sur les coutumes aborigènes, la vie au sein des tribus. Elle va en suivre une, victime d’un massacre alors qu’elle se trouve implantée sur ces terres depuis si longtemps. Ruby Moonlight en est la seule survivante, elle a 16 ans et raconte. Elle a tout d’abord suivi les émeus, puis est partie en forêt au bord de l’eau pour survivre seule. « la femme repose enfin son épuisement / repose son chagrin / et hume la pluie ». Dans ce superbe texte, aucune majuscule, aucune ponctuation. C’est alors qu’elle aperçoit Jack le mineur, un trappeur, l’épie, peine à l’approcher, méfiante et fascinée tout à la fois.
Les images sont simples, comme le quotidien de cette femme, elles n’en demeurent pas moins d’une grande robustesse, d’une force féministe conséquente où l’harmonie avec la nature n’est pas un fantasme, et où la cruauté humaine surgit malgré l’amour : « elle se réjouit que Jack soit / un homme de peu de mots / Jack se réjouit qu’elle soit / une femme de peu d’exigences / dans leur isolement / ils sont ciel / dans leur isolement / ils sont terre / l’isolement est indispensable / à leur fusion / il est interdit aux Européens / de forniquer avec les noirs ». La vie s’écoule au rythme des saisons, guidée par les superstitions, tandis que Jack pourrait bien avoir trouvé un trésor...
« Ruby Moonlight » est un livre pudique sur la simplicité et les sentiments, contre la colonisation, pour un retour à la vie en adéquation avec la nature, ainsi qu’un parcours de la propre vie de l’autrice en filigrane. Il est d’une beauté qui se partage, où l’intime vient rejoindre suavement l’Histoire. Il n’oublie pas l’horreur humaine, car « le son d’une lance / atteignant sa cible / est reconnaissable entre tous ». Il met en scène des personnages entiers, vrais, purs. Sorti en 2023 aux éditions Au vent des Îles (éditeur implanté en Polynésie française), il est formidablement traduit par Mireille VIGNOL qui le pare de fins attraits. Il est mis en valeur par la non moins magnifique couverture dont le graphisme est dû à Gabrielle AMBRYM. Un coup de cœur pour l’élégance, qu’elle soit dans le texte, la traduction et l’esthétisme.
(Warren Bismuth)
Mais quelle belle découverte, merci !
RépondreSupprimerEt je récupère ton lien pour les Minorités ethniques, en espérant que cela permettra d'élargir un peu la diffusion de ce titre, qui vaut visiblement le détour...
Honte à moi ! ce titre était déjà dans la liste... ton billet est donc une piqure de rappel plus que bienvenue..
RépondreSupprimerJe voulais en effet te le proposer pour la liste, mais je me suis aperçu qu'il en faisait déjà partie.
SupprimerCe n'est pas grave, deux avis -voire plus- sur un même titre, c'est bien aussi ! J'ai donc ajouté le tien au récap.
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