Pour « justice est faite » comme pour « Nous sommes tous des assassins », Jean Meckert élabore une novélisation, c’est-à-dire qu’il prend appui sur un fil existant – un film - et en rédige une version romanesque. Il est d’ailleurs difficile de dissocier les deux travaux, tant ils se ressemblent dans leur structure, montrent une certaine gémellité. Films réalisés l’un comme l’autre par André Cayatte (respectivement en 1950 et 1952), portant tous deux sur des faits de société alors tabous : l’euthanasie et la peine de mort. Sur un point purement subjectif, j’ajoute que les deux films sont deux chefs d’oeuvre absolus du cinéma français, qu’ils sont révolutionnaires par le traitement de leurs thèmes pour l’époque ainsi que par leur conclusion.
« Justice est faite »
Un crime. Elsa Lundenstein a tué son mari, abrégé ses souffrances. Celui-ci était atteint d’un cancer incurable, un pacte avait eu lieu entre eux, celui pour Elsa de promettre à Maurice de lui injecter la dose létale lorsqu’il n’en pourrait plus de vivre, dès qu’il souffrirait trop. Elsa a rempli le contrat. Seulement voilà : parallèlement elle avait un amant, ils s’aimaient, il lui faisait oublier en partie le quotidien plombant aux côtés d’un mari agonisant. Le voisinage a caqueté, la rumeur a enflé.
Les jurés, des civils au nombre de sept, sont désignés par le tribunal. Meckert (1910-1995) nous les présente méticuleusement, un à un, tous uniques, tous pouvant représenter un pan de la société française d’alors. Il nous les montre intimement pendant le procès, sans fards, ainsi que dans leur vie de famille peu glorieuse, les uns après les autres, comme pour n’en absoudre aucun, et en même temps leur pardonner à tous de ne même pas laisser entrevoir un soupçon de perfection.
Lorsque la scène (j’allais écrire « la caméra ») se tourne du côté de Elsa, l’accusée devient narratrice, dans une force de personnalité hors du commun. Il y a quelque chose de théâtral, forcément, dans l’examen du procès, lui aussi hors du commun. Juge-t-on une criminelle, une femme aimante ayant voulu soulager son mari ou une calculatrice qui lorgnait sans scrupule sur les 35 millions d’héritage à venir ? Ou bien juge-t-on une dame égoïste précipitant le décès de son mari pour rejoindre son amant ?
Dans un roman précis, lent, solide, Meckert fait évoluer des personnages rattrapés par leurs secrets, car aucun des jurés n’a les mains propres, aucun ne peut dire qu’il va juger Elsa en toute bonne foi, c’est tout le piquant de ce scénario implacable, agrémenté d’une bonne dose de suspense qui ne doit rien au hasard. Film tourné en 1950, il est novélisé par Meckert en 1954. La magie opère si l’on considère qu’à la lecture du roman, nous retrouvons de manière troublante l’exact personnage interprété par Noël Roquevert dans le film, jusqu’à en imaginer la silhouette et la posture. Le roman comme le film sont deux réalisations exceptionnelles, qui ont permis de poser un vrai sujet de société dans ses clivages mêmes. L’un est à voir, l’autre est à lire, car ils restent modernes dans leur approche et dans leurs conclusions. Deux coups de poing de la culture française. Allez-y sans modération.
« Nous sommes tous des assassins »
Novélisation de 1952 du film de Cayatte de 1950, « Nous sommes tous des assassins » suit un condamné à mort analphabète, René le Guen, 22 ans, dont la sœur est prostituée. Le récit alterne les scènes collectives en intérieur où sont rassemblés les condamnés, et les scènes en liberté avec les autres protagonistes de l’histoire. René s’épanche en de longs soliloques introspectifs sur sa vie, avant, pendant, et après : sa mort prochaine. Comme Meckert, René est un ancien résistant, il fait part de ses faits d’armes. Tuer un homme en temps de guerre passe pour de l’héroïsme, devient criminel en temps de paix. Car Le Guen a tué plusieurs fois, mais les circonstances en étaient bien différentes.
René Le Guen n’a pas eu de chance dans sa vie : misère, mère alcoolique, frère Michel jugé crasseux et infréquentable. Puis ce premier amour, Rachel, dont René parle longuement. Et enfin, ce qui l’amène dans ce cachot : le meurtre. De plusieurs hommes. Et cette sentence : condamnation à mort. « La peine de mort en soi est une séquelle des temps barbares ! ».
Le parler est populaire, argotique, celui de la rue, des rues de Paris, alors qu’un prêtre est appelé chaque fois qu’un condamné à mort va mourir, l’occasion de montrer les relations tendues mais sans hostilité entre des prisonniers souvent incroyants et les représentants de l’Eglise. Dans une ambiance typique des romans (ou films) noirs des années 50, Meckert suit Cayatte dans sa plaidoirie contre la peine de mort, sujet alors brûlant dans une France qui ne se remet que difficilement des blessures de la seconde guerre mondiale. La langue est verte, on attend en outre un quelconque Gabin qui viendra coller une châtaigne à un gangster bien sapé qui mordille un cigare hors de prix. Car « Nous sommes tous des assassins » est aussi une guerre de classes, les pouilleux contre les aristos, la cloche contre les diamants.
La peur est omniprésente, celle de mourir sans avoir tout dit, sans avoir suffisamment aimé. Une rage de vivre mêlée à une velléité de précipitation : « Le jour, je voudrais que ça finisse, et puis la nuit j’ai peur qu’ils s’amènent ». Peur des bourreaux, du zigouillage par le cou suivant les pointillés.
« Nous sommes tous des assassins », à l’instar du film, est un roman ambitieux sur cette volonté de condamner à mort la peine de mort. La France est alors en grand majorité pour cette barbarie. Meckert se dresse, magnifique, et n’a pas la langue – verte - dans sa poche. Le film est à revoir, c’est un petit chef d’œuvre, arrivé bien trop tôt dans le débat, un précurseur en somme.
« Il s’endormit sur un sourire, comme un homme qui a un avenir devant lui ».
(Warren
Bismuth)
Je viens de finir "Je suis un monstre", et je n'en ai certainement pas fini avec Jean Meckert. Les sujets de ces deux titres sont très attrayants.
RépondreSupprimerUne découverte - sur le tard - colossale en ce qui me concerne.
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