Dans une file d’attente, quatre réfugiées patientent à la frontière ukrainienne pour se rendre en Europe juste après le début de l’invasion russe en Ukraine. Elles fuient la guerre. Parmi elles, une actrice ayant joué pour la télévision russe, notamment dans une série sur le FSB (l’ancien KGB). Elle a aussi interprété Olena Teliha à l’écran, poétesse ukrainienne antisémite et collabo, exécutée par la gestapo en 1942. L’actrice est immédiatement prise en grippe. Mais la magie de la fiction fait qu’elle semble posséder plusieurs vies.
Au fur et à mesure, la file d’attente évolue, elle change de nom à chaque tableau. Nous faisons plus ample connaissance avec les autres réfugiées : l’amatrice de chats qui trimballe deux chatons endormis dans son sac, la femme au foyer, la manucure. Chacune porte son malheur avec elle. L’amatrice de chats suit quasi en direct l’évolution de la guerre qui ne dit pas son nom, fait part des exactions de l’armée russe à ses comparses, des viols, des saccages, des pillages, des premières exécutions.
Du côté de l’ouest, un silence pudique, « comme si elles violentaient notre ville avec leur malheur », alors que Kyïv (Kiev) croule sous les bombes. Ces réfugiées ne sont pas les bienvenues, l’Europe hésite à prendre part, à aider, ne veut peut-être pas trop blesser la Russie. En attendant, les populations souffrent.
Heureusement il y a l’humour de l’ukrainienne Natalka Vorojbyt (dont je vous ai déjà présentés deux ouvrages) qui transforme ce champ de ruines en une joyeuse confusion où il est parfois difficile de retrouver ses petits. Qu’importe, ses personnages vivent, respirent, mieux, rient, quelquefois aux dépends des autres, des scènes deviennent burlesques, indécentes malgré les velléités d’en finir pour une partie de la population.
« Pourquoi attendre qu’on vous tue ? Il faut fuir ! Il ne reste de la République d’Ukraine que le chœur de Kochytz. C’est l’unique chose ukrainienne que l’Europe a soutenue : votre musique. Partez et rejoignez le chœur. Vous pourrez travailler et préserver l’Ukraine pour les générations à venir. Ce sera comme une mission, et ce sera sans doute mieux que de mourir bêtement ici ! ». Mais le mal du pays pourrait bien rapidement se faire sentir pour ces exilées…
Notons ici la brève préface du célèbre romancier ukrainien Andreï Kourkov qui évoque la notoriété de Natalka Vorojbyt en Ukraine. Le texte de 2023 est traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et vient de paraître aux éditions l’espace d’un Instant. Ajoutons pour terminer que « Couloirs humanitaires » se dit « Couloirs verts » en Ukrainien.
https://parlatges.org/boutique/
(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire