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jeudi 12 octobre 2017

Sorj CHALANDON « Le jour d’avant »


Le jour d'avant – Sorj Chalandon | Tu vas t'abîmer les yeux

Huitième roman de CHALANDON, peut-être le plus noir. Un terrible coup de grisou dans une mine tout près de Lens dans le département du Nord en ce 27 décembre 1974. 42 mineurs laissés sur le carreau. Un 43ème suivra trois semaines plus tard : Joseph Flavent. C’est en quelque sorte le personnage principal et fictif de ce roman, même s’il meurt dès le début. Son jeune frère, Michel, va porter le poids de cette catastrophe et de la mort de Joseph, dit Jojo, pendant des décennies. Au fil des années il va voir mourir leur mère, leur père, puis sa femme Cécile. Tout le renvoie à la mort. Pour lui nul doute, le responsable de cette tragédie minière n’est autre que Dravelle. Dravelle, celui qui a demandé à ses hommes de descendre au fond de la mine ce matin du 27 décembre 1974 alors qu’il savait que les conditions de sécurité étaient médiocres, que la ventilation était défaillante et que le sol et les murs n’avaient pas été suffisamment humectés. Michel va alors vouloir retrouver Dravelle afin de se venger. Ce roman de 2017 aborde pas mal de sujets : la quête de l’identité, des racines, la notion de culpabilité, le déni, la vengeance bien sûr (au cœur du livre), le suicide, mais c’est aussi et surtout un roman engagé. CHALANDON se transforme en historien du social et du travail pour dénoncer les conditions dégueulasses des mineurs, leur espérance de vie limitée, leurs maladies déclenchées par la poussière, le charbon, la saleté. Il est aussi militant en reprenant méthodiquement et scrupuleusement divers points de cette tragédie minière qui a réellement eu lieu, les non dits, les mensonges, les oublis, les amnésies volontaires, qui ne sont par ailleurs pas toujours où l’on croit. Par ce travail minutieux et entêté, il entre dans les pas d’un Didier DAENINCKX, romancier très marqué politiquement et socialement, se servant de son métier pour rugir. Évidemment on ne peut aussi que penser au ZOLA de « Germinal » qui fait parler et vivre des mineurs éprouvés par leur labeur. Dans l’atmosphère, je me permettrai d’y sentir un fort goût au palais de SIMENON par l’âpreté du discours. D’ailleurs, est-ce un hasard si le narrateur Michel qui vient de perdre sa femme longtemps après la catastrophe, écrit « Cécile est morte », le titre d’un roman mettant en scène le fameux commissaire Maigret de SIMENON ? Si au détour d’une page, ce même narrateur parle d’un inconnu dans la maison, encore un titre d’un SIMENON ? Sans dévoiler la trame du roman ni ses rebondissements d’une efficacité redoutable, sachez cependant qu’il y aura procès, un procès assez lointain de ce que l’on pourrait imaginer en croyant posséder les bonnes cartes en mains. Les plaidoiries semblent tout droit sorties d’une fin de film d’André CAYATTE, implacables, compassionnelles mais lucides. Ce « Jour d’avant » est très fort par la documentation historique, mais aussi la machine judiciaire en branle. Ses personnages sont crédibles derrière ce ton d’une noirceur absolue. Une leçon de yoga avant et après la lecture ne seront peut-être pas inutiles, on a là un vrai roman sombre, avec ce climat boueux qui colle aux semelles, avec parfois cet air vicié presque aussi suffocant que celui du fond de la mine, l’un des meilleurs de l’auteur qui a pourtant laissé de bien jolies traces littéraires au fil des années. Une valeur sûre, une pointure.

(Warren Bismuth)

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