Huitième roman de CHALANDON, peut-être le plus noir. Un terrible
coup de grisou dans une mine tout près de Lens dans le département du Nord en
ce 27 décembre 1974. 42 mineurs laissés sur le carreau. Un 43ème
suivra trois semaines plus tard : Joseph Flavent. C’est en quelque sorte
le personnage principal et fictif de ce roman, même s’il meurt dès le début.
Son jeune frère, Michel, va porter le poids de cette catastrophe et de la mort de
Joseph, dit Jojo, pendant des décennies. Au fil des années il va voir mourir leur mère, leur père,
puis sa femme Cécile. Tout le renvoie à la mort. Pour lui nul doute, le responsable de cette
tragédie minière n’est autre que Dravelle. Dravelle, celui qui a demandé à ses
hommes de descendre au fond de la mine ce matin du 27 décembre 1974 alors qu’il
savait que les conditions de sécurité étaient médiocres, que la ventilation
était défaillante et que le sol et les murs n’avaient pas été suffisamment
humectés. Michel va alors vouloir retrouver Dravelle afin de se venger. Ce
roman de 2017 aborde pas mal de sujets : la quête de l’identité, des
racines, la notion de culpabilité, le déni, la vengeance bien sûr (au cœur du
livre), le suicide, mais c’est aussi et surtout un roman engagé. CHALANDON se transforme en
historien du social et du travail pour dénoncer les conditions dégueulasses des
mineurs, leur espérance de vie limitée, leurs maladies déclenchées par la
poussière, le charbon, la saleté. Il est aussi militant en reprenant
méthodiquement et scrupuleusement divers points de cette tragédie minière qui a
réellement eu lieu, les non dits, les mensonges, les oublis, les amnésies
volontaires, qui ne sont par ailleurs pas toujours où l’on croit. Par ce
travail minutieux et entêté, il entre dans les pas d’un Didier DAENINCKX,
romancier très marqué politiquement et socialement, se servant de son métier
pour rugir. Évidemment on ne peut aussi que penser au ZOLA de
« Germinal » qui fait parler et vivre des mineurs éprouvés par leur labeur. Dans l’atmosphère,
je me permettrai d’y sentir un fort goût au palais de SIMENON par l’âpreté du
discours. D’ailleurs, est-ce un hasard si le narrateur Michel qui vient de
perdre sa femme longtemps après la catastrophe, écrit « Cécile est morte », le titre d’un roman
mettant en scène le fameux commissaire Maigret de SIMENON ? Si au détour
d’une page, ce même narrateur parle d’un inconnu dans la maison, encore un
titre d’un SIMENON ? Sans dévoiler la trame du roman ni ses
rebondissements d’une efficacité redoutable, sachez cependant qu’il y aura
procès, un procès assez lointain de ce que l’on pourrait imaginer en croyant
posséder les bonnes cartes en mains. Les plaidoiries semblent tout droit
sorties d’une fin de film d’André CAYATTE, implacables, compassionnelles mais
lucides. Ce « Jour d’avant » est très fort par la documentation
historique, mais aussi la machine judiciaire en branle. Ses personnages sont
crédibles derrière ce ton d’une noirceur absolue. Une leçon de yoga avant et
après la lecture ne seront peut-être pas inutiles, on a là un vrai roman
sombre, avec ce climat boueux qui colle aux semelles, avec parfois cet air
vicié presque aussi suffocant que celui du fond de la mine, l’un des meilleurs
de l’auteur qui a pourtant laissé de bien jolies traces littéraires au fil des
années. Une valeur sûre, une pointure.
(Warren Bismuth)
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