Un roman écrit en 1944, en pleine occupation, période durant
laquelle SIMENON fut très prolifique, trop. Car beaucoup a déjà été évoqué sur
cette période trouble de son existence. Certes, il n’aurait pas collaboré
(respectons le conditionnel, des rumeurs continuent aujourd’hui encore de
grossir le passé déjà noir du romancier), mais il n’a pas été ne serait-ce
qu’effleuré par l’esprit de résistance au nazisme, il a vécu en Vendée et en
Charente-Maritime, comme si rien ne se déroulait à l’extérieur, comme si aucune
guerre, aucun combat n’étaient en train d’éclater et de décider de l’avenir du
monde. Il a été lâche, très lâche. Cette période est sempiternellement restée
comme un caillou dans sa godasse. Bref, venons-en au roman proprement dit. Comme
pour contredire ce qui a été dit et écrit sur le romancier SIMENON, celui-ci
n’a pas toujours désigné le lieu d’action de ses romans dans un cadre
géographique qu’il n’habitait plus, comme pour mieux s’imprégner de l’atmosphère
a posteriori. En effet, ce roman se
situe en Vendée, dans le département même où SIMENON l’habitait quand il l’a
écrit. Une famille d’agriculteurs, les Roy, découvre sur le bord de la route au
pied d’un arbre un homme grièvement blessé, une voiture lui a roulé dessus. Les Roy vont héberger l’homme chez eux, refusant de le faire transporter à
l’hôpital, pourquoi ? Le brigadier Liberge se rend sur place et rédige un
rapport. Ce brigadier est assez envahissant par sa présence et ses questions
embarrassantes. De lourds secrets semblent peser sur la famille Roy, un passé bien rance va surgir au fil du roman. Quant à l’homme blessé, le choc l’a rendu
amnésique, et même s’il survit rien n’est moins sûr qu’il donne des
informations. Un SIMENON classique, un vrai roman dur, noir et spongieux. Cette
famille Roy peut rappeler par certains traits la famille DOMINICI (oui,
l’affaire DOMINICI, le meurtre de la famille DRUMOND sur une route de campagne,
fait divers qui aura lieu seulement huit ans après l’écriture du présent roman,
je ne me transformerai cependant pas en fier et arrogant complotiste ou
révisionniste près à chercher un point commun entre le livre et le fait divers,
ni à aller soupçonner le livre de SIMENON d’avoir servi d’exemple, un peu de tenue
bon sang ! Certes j’extrapole volontairement, mais avouez quand même que
ce serait un beau sujet de discussion dans les milieux autorisés de la théorie
du complot !). Le blessé, paradoxalement personnage principal et
secondaire car comme absent, peut rappeler quant à lui Anselme MANGIN, le
célèbre amnésique revenu de la première guerre mondiale sans aucun souvenir (on
le baladera au gré du vent pour le faire reconnaître par des tas de familles
certaines qu’il est des leurs, une histoire pathétique). Il est apathique et
silencieux. On se demande même s’il comprend le français. L’ambiance générale
de ce roman se situe proche de « la nuit du carrefour », un
« Maigret » de choix (peut-être l’un des meilleurs). D’ailleurs, ce
Liberge possède des traits de personnalité que n’aurait pas renié le père
Maigret. En somme, plusieurs éléments qui font de ce roman un excellent cru où
la noirceur est bien sûr palpable, un roman dur peut-être un tantinet plus
proche d’un vrai polar que la plupart des autres de la catégorie. SIMENON, malgré
son passé, son passif, et même s’il ne doit en aucun cas en être dédouané, reste
l’un des grands auteurs du XXème siècle, ce livre le montre par une écriture au
cordeau et une ambiance unique.
(Warren Bismuth)
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