Quand il n’y en a plus il y en a encore. Comme tout écrivain qui
se respecte, HARRISON a écrit plus qu’il n’a publié. Alors forcément, les
éditeurs exhument en cette fin d’année 2017 du posthume, par ailleurs peu après
le décès de l’auteur en mars 2016. Ces dernières nouvelles sont-elles d’ailleurs
vraiment les dernières ? Peut-être les dernières écrites (et encore rien
n’est mentionné dans le présent ouvrage), mais m’est avis que d’autres
publications plus ou moins anciennes finiront par sortir. Toute sa vie,
HARRISON a écrit de nombreuses novellas, ces longues nouvelles qui ont le goût
du roman sans vraiment en être, chaque fois les recueils en français en
comportant trois. Ici aussi, et c’est le huitième recueil de ce format qui voit
le jour. Début des hostilités avec « Les œufs », l’histoire d’une
Catherine peu gâtée par la vie, une paysanne amoureuse de ses poulets, des œufs
de ses poules, qui semble ne vivre que pour eux, et qui va découvrir la ville,
alors que son frangin va foutre le feu à la maison familiale par représailles.
En bois ça brûle mieux. Cette Catherine qui cherche un homme, non pas pour
qu’il l’aime, mais pour qu’il lui fasse un gosse. Elle a de mauvais souvenirs
avec les hommes (un viol), alors elle se tourne du côté des chiens pour qu’ils
lui tiennent compagnie. Elle en adopte un alors que son obsession pour les
poules et les œufs ne s’estompe pas. Une magnifique novella. Puis nous retrouvons
Chien Brun dans « Le-chien », le héros le plus connu de Jim HARRISON
qui apparaît ici au moins pour la sixième fois (il est en effet le héros de 5
novellas entre 1990 et 2010). Chien Brun est un peu le double indien d’HARRISON :
bon vivant amoureux des femmes, blagueur en harmonie avec dame nature, amateur
invétéré de pêche et de farniente, il y a sans doute pas mal d’autobiographie
cachée dans ses aventures. Ici, suite à l’accident d’un certain Rollo sur un motoneige,
Chien Brun le remplace au pied levé dans son job : attrapeur de chiens
dans une association de défense animale. Comme toujours, il va lui en arriver
de belles. Chien Brun aime les femmes et le leur fait comprendre, mais il est
maladroit. Les péripéties sont nombreuses, à base de cul, de bouffe, de picole,
comme toujours. Dans ces aventures-là, on sent HARRISON particulièrement à
l’aise, comme s’il se reposait après l’écriture difficile d’un livre. Il aime
d’amour son personnage, c’est palpable. En lisant les âneries de Chien Brun on
a un peu le sentiment d’être au cœur d’une bande dessinée et l’on finit par
être séduit par un personnage très attachant, peu intelligent mais férocement
intuitif et instinctif. La dernière novella s’intitule « L’affaire des
bouddhas hurleurs » et met là aussi en scène un personnage récurrent
d’HARRISON puisqu’il s’agit de l’ex-inspecteur Sunderson, déjà mentionné dans
les romans « Grand maître » et « Pêchés capitaux », respectivement
de 2011 et 2015. Là on retrouve le HARRISON un brin agaçant : des nanas
forcément nymphomanes se baladant en culotte et en soutif pour exciter des
messieurs un peu trop enclins à l’érection systématique. Cette espèce
d’histoire d’espionnage semble être un prétexte à un défilé de filles mineures
désireuses de se faire dire la bonne aventure par des retraités rangés des
bagnoles, et s’il y a des boules à l’horizon, elles ne sont pas précisément
faites de cristal. HARRISON gâche ici son immense talent dans ces historiettes
potaches. Un de ses personnages dit « Ne
laisse pas ta bite te traîner en prison », ce à quoi nous pourrions
répliquer au grand Jim « Ne laisse pas ta bite tenir ton stylo à ta
place ». Cependant, et à sa décharge (n’y voyez là aucun mauvais jeu de
mots), la conclusion de cette novella remet en partie en question l’attirance
de ce Sunderson pour les jeunes demoiselles délurées, comme une morale qui claque
à la manière d’une cravache pour remettre les pendules à l’heure. Si vous ne
connaissez pas (ou peu) encore HARRISON, ce recueil est un excellent tremplin
pour plusieurs raisons : déjà il semble être un résumé très survolé mais
assez parlant de la carrière de l’auteur, car Chien Brun et Sunderson sont des
habitués de la maison, mais aussi parce que Catherine, l’héroïne de la première
novella, n’est pas sans rappeler Dalva, un personnage qu’HARRISON a fait vivre
dans le roman éponyme en 1988, puis représenté dix ans plus tard dans « La
route du retour ». Trois « héros » auquel HARRISON tenait particulièrement
réunis ici dans ces ultimes (???) nouvelles, de quoi bien vous familiariser
avec l’atmosphère du père Jim, d’autant que vous aurez en main tous les autres
ingrédients qui ont fait sa renommée : les anecdotes tordantes, les grands
espaces, la ruralité États-unienne, la picole sans modération, la grande pour
ne pas dire la grosse bouffe, et surtout l’humour, décalé, assassin, présent en
permanence et faisant parfois rire aux éclats. Si ce recueil peut sonner comme
un testament (vous comprendrez pourquoi en terminant la troisième novella), il
n’est jamais sombre ni désenchanté, et ressemble comme deux gouttes d’eau au
reste de l’œuvre de l’écrivain. HARRISON était l’un de ces auteurs populaires
mais unique qui écrivait très simplement des destinées parfois compliquées, un
conteur, un fabuliste rabelaisien hors norme. Il nous laisse une bibliographie
qu’on n’a pas fini d’explorer, et rien que cela nous met en joie.
(Warren Bismuth)
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