Aux alentours du milieu du XIXème siècle au Nebraska, dans le
comté de Loup, l’hiver est rude et les familles isolées lâchent la rampe. À
cause de conditions de vie inhumaines et misérables, quatre femmes sont
devenues folles. Leurs maris les rejetant, il va falloir les ramener dans leur
famille d’origine en passant par une
Église Méthodiste située dans l’Iowa. Seulement il faut quelqu’un pour convoyer
le chargement. Un tirage au sort est censé être effectué entre les quatre
maris. Cependant l’un d’entre eux ne veut pas entendre parler de cette mission.
C’est une femme des environs, Mary Bee Cuddy, agricultrice célibataire et rustre,
qui va se proposer à sa place. Seulement voilà, c’est elle qui est tirée au
sort et va devoir endosser le rôle peu envié de « rapatrieur »
(« homesman », néologisme pour qualifier la personne choisie).
Parallèlement, elle sauve la vie d’un vagabond escroc, George Briggs,
spécialiste solitaire des réquisitions de fermes supposées abandonnées, alors qu’il
a une corde autour du cou, chevauchant sa monture. En échange de la vie sauve,
Mary Bee lui impose de l’accompagner dans cette aventure tumultueuse de
plusieurs semaines. Un chariot est construit avec l’aide financière des maris
des quatre démentes, des vivres sont donnés. Mary Bee Cuddy et Briggs vont
devoir s’entendre bon an mal an au beau milieu de ces femmes ayant perdu la
raison, qui ne peuvent même pas pisser seules, mais peuvent accessoirement
s’avérer dangereuses, tout comme les rencontres tout au long de ce vrai chemin
de croix où par ailleurs la foi est omniprésente. Roadbook lent et
désillusionné, sobre et intimiste, l’écriture y est expurgée, sans artifices,
comme si chaque mot comptait. On reconnaît toutes les ficelles du
western : quelques indiens, des cowboys taiseux, seuls, la rudesse du
climat, et bien sûr les grands espaces. Ajoutons-y néanmoins cette Mary Bell un
brin féministe. Roman tragique mais pourtant jamais larmoyant, se permettant
même de ci de là quelques pointes d’humour (« Il émergea de derrière le
bar et suivit son ventre jusqu’au bas de l’escalier »). Alors que des
populations entières se déplacent d’est en ouest des Etats-Unis, Mary et George
font le contraire, comme pour schématiser la fin du rêve de la conquête de
l’ouest (déjà). Ces deux figures sont absolument inoubliables et diablement
attachantes malgré leurs nombreux travers bien humains (ou peut-être en partie
grâce à ces travers). Ce formidable roman de 1988 fut aussi le dernier de
Glendon SWARTHOUT (mort en 1992), il fut brillamment adapté au cinéma par Tommy
LEE JONES (qui en outre joue le rôle de Briggs), qui restitue parfaitement le
décor du bouquin, en omettant toutefois un épisode un brin érotique contenu
dans le roman (pour un résultat plus « hollywoodien » ?), en ne mettant
en scène que trois folles, mais en rajoutant un « The » à son titre.
Un livre à la fois touchant et sombre qui atteint son but. C’est bien sûr
GALLMEISTER qui l’a édité en 2014, sa sortie fut simultanée avec celle du film,
nous offrant là une histoire d’une force exceptionnelle servie par une écriture
puissante et maîtrisée.
(Warren Bismuth)
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