Quelle
idée formidable que cet essai sociologique sur la série
« Columbo » ! Quand comme moi on est un inconditionnel du
célèbre lieutenant à l’imperméable élimé, on se doit de lire ce petit bouquin.
L’histoire de la série est à elle seule pleine de rebondissements : commencée
en 1968 comme simple téléfilm, le succès de celui-ci pousse les créateurs à
passer en mode série trois ans plus tard, en 1971. Après un épisode pilote,
« Columbo » démarre vraiment la même année pour une première saison.
En 1978, à la fin de la saison 7, la série s’arrête brutalement. Mais elle
reviendra sur les écrans en 1989, et ne les quittera plus jusqu’en 2003, au
terme de 18 saisons dont les 8 dernières ne comporteront qu’un à deux épisodes.
Peter
FALK campe un lieutenant issu des classes populaires. Dans chacune de ses 69
enquêtes, il est confronté à la haute bourgeoisie Etats-unienne, souvent même à
des célébrités publiques. La plupart sont arrogantes, possèdent une forme de
pouvoir et mésestiment parfois jusqu’au mépris un type insignifiant fringué comme
un clodo, qui de surcroît ne paraît pas avoir inventé la machine à tourner les
coins de rue. C’est pourtant lui qui va faire mettre à genoux les puissants,
les aristos, ceux de la « haute ».
Columbo
est un homme simple, peu érudit, pas très « consommateur », se
contente de peu d’éléments externes pour vivre. Néanmoins il est d’une
curiosité à toute épreuve, et s’il cache certaines convictions, on les devine
aisément : il n’aime pas la violence, les armes, le pouvoir, les
politiciens. Il n’abuse pas non plus des règles de la communauté (sa voiture
pourrie l’atteste en partie), il est indépendant (il préfère travailler seul et
au calme) mais très fidèle. Il adore sa femme (qui indirectement l’aide à
résoudre certaines énigmes, bien qu’on ne la verra jamais) et se passionne pour
son chien. Il a les goûts de l’américain moyen, y compris culinaires, comme
s’il s’interdisait d’aller au-delà de son monde, celui de la classe populaire.
Cette
étude sociologique de 2013 va détailler cette sorte de lutte des classes
permanente. Le petit fonctionnaire un brin minable, un peu crado, descendant
d’une famille italienne prolétarienne, qui ne brille pas par son intelligence,
va débusquer la preuve qui tue et confondre l’assassin. Lilian MATHIEU a passé
la série au crible et donne de nombreux exemples précis tirés de diverses
situations. Il nous apprend quelques anecdotes savoureuses et toujours bonnes à
lire, notamment celle des fringues de Columbo qui venaient directement de la
garde-robe personnelle de Peter FALK. Il scrute aussi le comportement de
Columbo envers les meurtriers, déférent, emprunté, gauche (il a conscience
d’appartenir à une classe sociale bien plus basse que celle de ses
interlocuteurs), qui peu à peu se fait plus piquant, envahissant, et va jusqu’à
jouer avec les nerfs de ses adversaires afin de les pousser à la faute en un
jeu de dupes parfaitement orchestré.
La
culture Etats-unienne de la seconde partie du XXe siècle est très présente dans
« Columbo », notamment les découvertes, les inventions du moment. La
bourgeoisie puissante des protagonistes de la série possède bien sûr les
derniers produits ou matériels en vogue, Columbo les découvre, s’y intéresse,
aussi afin de bâtir une certaine proximité avec l’assassin. La ville de Los
Angeles est très bien représentée puisqu’elle héberge la majeure partie des
épisodes. On pourrait parfois se croire dans un film de John CASSAVETES (par
ailleurs ami proche de Peter FALK) avec les décors urbains.
Tout
cela est raconté dans ce petit bouquin, sérieusement, précisément. Je ne
parviens pas à me mettre à la place d’un lecteur qui lirait ce bouquin en
méconnaissant ou même ne connaissant pas du tout la série, même si je pense
qu’il faut avoir vu plusieurs épisodes pour bien digérer ce que l’auteur développe.
C’est en tout cas une lecture proprement jubilatoire pour un adepte comme moi,
surtout lorsque Lilian MATHIEU ose une comparaison – pertinente par ailleurs –
avec l’illustre ancêtre de Columbo, j’ai nommé le commissaire Maigret (séquence
émotion). Bref, après cette lecture, vous serez incollable sur le lieutenant,
sa femme, son chien, sa 403, et surtout sur la personnalité même de l’homme à
l’imper râpé. Et qui sait, vous aurez peut-être l’envie incontrôlable de
regarder l’intégralité de cette série singulière, ce que je ne peux que vous
encourager à faire dès ce soir.
(Warren Bismuth)
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