Comme beaucoup de poètes qui
se sont également lancés sur le chemin romanesque ou nouvelliste,
Erri DE LUCA est surtout connu pour ses romans et ses récits.
Pourtant il est aussi un grand poète, et ce recueil le démontre
magnifiquement. Originellement sorti en 2008 pour le long poème
éponyme, il en est
ici augmenté d’autres
parus en 2008 dans la langue natale et formant cinq recueils. Pour la
traduction, il a fallu attendre 2012 et une version déjà fusionnée
et bilingue italien/français.
« Aller simple »
est un long poème gracieux mais aussi une sorte de longue complainte
lucide sur le parcours des migrants, de la fuite du pays natal à la
terre d’accueil (ou pas) en passant par le voyage, la traversée en
bateau, épuisante. Un thème que DE LUCA connaît bien, qu’il
tient à la perfection comme pour nous jouer une partition magistrale
en forme de bouée de sauvetage en mer.
DE LUCA possède le chic de
vous jouer la danse du ventre sur des sujets épineux en guise de
séduction, les phrases sont simples mais sublimes de délicatesse et
de précision :
« On dit : vous
êtes le Sud. Non, nous venons du grand parallèle,
de l’équateur centre de
la terre.
La peau noircie par la plus
directe lumière,
Nous nous détachons de la
moitié du monde, non pas du Sud »
Les phrases peuvent paraître
chocs, comme les images, parlantes, photogéniques. Elles renferment
des drames, des espoirs, de la violence, passée, à venir, des
parcours d’êtres humains en détresse. Et cette traversée, pleine
d’imprévus, ces déchaînements, ces rébellions.
« On a retiré le
commandant aux assassins
Mais nous ne sommes pas les
maîtres, la mer décidera de nous.
Nous sommes plus au large,
de quoi s’allonger à l’abri pour tous,
Viennent des pensées de
futur, l’ancien dit que c’est la liberté ».
« Surveillés par des
gardes, nous sommes coupables de voyage,
Il y a plus d’espace que
sur le bateau, des rations d’eau et pas de faim »
Le recueil change de format
avec une suite de poèmes, parfois très courts, qu’ils soient
naturalistes, engagés, amoureux ou résistants, sur l’émigration,
les arbres, la nature ou Israël, intimes ou commémoratifs, hommages
à des artistes oubliés, à des révolutionnaires. Ils peuvent être
athées ou touchés par la foi, la Bible, olfactifs ou visuels, en
mer ou sur terre, urbains ou ruraux. Mais ils sont toujours d’une
beauté stupéfiante, d’une quasi perfection dans la forme. Le
rythme y est travaillé, chaloupé, la musique variée mais cohérente
et même harmonieuse, le style épuré.
« Le prisonnier
renferme une graine dans son poing
Il attend qu’elle germe en
brisant son étreinte »
Le
déchirement amoureux:
« Si tu étais ici, je
t’écrirais quand même
Je posterais la lettre dans
le col d’une bouteille vide
Et il te faudrait la casser,
pour lire,
Au risque de te couper.
Entre nous, seulement des
mots acérés »
La
littérature, encore et toujours, force de l’image, et de la
suggestion :
« Écrivain, plante un
arbre pour chaque nouveau livre,
Redonne des feuilles en
échange des pages.
Un écrivain doit un obis au
monde »
C'est
proche du divin, les mots manquent.
(Warren Bismuth)
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