Roman sulfureux, militant, politique,
irrévérencieux. Mais qui est ce MAURIENNE, l’auteur ? Un pseudo bien sûr,
celui de l’alsacien Jean-Louis HURST, pseudo trouvé par le directeur des
éditions de Minuit, Jérôme LINDON, lorsqu’elles vont publier le roman :
« C’est simple, pendant la Résistance, nous avions Vercors. Alors, pour
la suivante, j’ai choisi la vallée d’à côté ».
« Le déserteur » est l’un ces
romans prétextes à une tribune. L’appellation « roman » le dispense
aussi d’avoir à se défendre en cas de plaintes. Mais sachez que dans ce récit,
tous les personnages ont bel et bien existé, hormis un seul. C’est bien un
récit de vie qui est proposé, mais planqué sous la couverture du fictionnel.
Le scénario de ce « Déserteur »
est simple : des potes, jeunes, français métropolitains, discutent
régulièrement sur l’attitude à adopter en pleine guerre d’Algérie (le livre est
écrit en 1960 pendant les événements) : se battre pour la France ?
Euh, mais l’Algérie est AUSSI la France… Alors disons se battre pour le
gouvernement de Paris contre les indépendantistes ? Ce serait le défendre,
cautionner les actes abominables de l’armée, les tortures. Se battre côté
adverse, pour le F.L.N. ? Cela paraît plus alléchant, mais dangereux voire
téméraire. Alors quoi ? Déserter ? Pourquoi pas après tout, cette
solution semble envisageable, souhaitable même, c’est en tout cas la plus
propre des convictions d’une partie des amis.
Certains avaient déjà choisi :
devenir déserteurs insoumis avant même d’être appelés. D’autres ont eu cette
réflexion trop tard et se sont retrouvés mobilisés avant même d’avoir tranché.
En fond, le racisme, la pseudo-supériorité des blancs, l’avènement de de GAULLE
en mai 1958, la peur du retour du fascisme (les soldats « français de souche »
sont comparés à des S.S.) avec les souvenirs de la deuxième guerre mondiale, le
radicalisme d’État, se noyant dans une volonté de tout contrôler, de tout
censurer.
En parlant de censure, « Le
déserteur » est l’un de ces livres rapidement saisis par l’État
français : paru le 7 avril 1960 aux éditions de Minuit, il est interdit
dès le 20 avril pour « Incitations de militaires à la désobéissance »
à l’encontre du directeur de Minuit Jérôme LINDON et de l’auteur du roman
Jean-Louis HURST. C’est le troisième livre de chez Minuit saisi. Pourquoi
n’est-il pas mentionné le terme « désertion » dans cette plainte ?
Une désertion n’est considérée comme telle que lorsqu’elle s’effectue contre
son pays, face à l’ennemi. Or, cette guerre est un conflit franco-français.
Reconnaître la désertion serait reconnaître en quelque sorte l’indépendance de
l’Algérie. Donc incitation à la désobéissance, voilà.
Le spectre du fascisme récent flotte et
brouille les idées : « Je crois que si cette guerre était juste
(quelque chose comme une guerre de défense en face d’une invasion fasciste, par
exemple), j’aimerais la faire, j’aimerais cette aventure vraie et dure et
totale qui m’obligerait à vivre intensément, à me dépasser ». La
gauche se fait elle-même fort nébuleuse : « Je crois que tant que
la gauche ne dira pas nettement que la classe ouvrière française et le peuple
algérien doivent se soutenir mutuellement parce qu’ils ont les mêmes ennemis et
le même intérêt à retrouver la paix, la guerre n’a pas beaucoup de chances de s’arrêter… ».
Et puis l’auteur se positionne :
« Il faudrait se mettre dans la peau d’un Algérien. Rendez-vous compte
que ces hommes ont vécu voués au mépris de tous depuis 1830 jusqu’à maintenant.
Ils étaient, le plus souvent, considérés comme du bétail. Pourtant, on a su,
pendant la guerre, les employer au même titre que les autres citoyens ! En
1945, on en a massacré 40 000 dans la peur d’une quelconque vague de
revendications nationalistes. C’est cette année-là que la guerre d’Algérie a
commencé, pas en 1954 ».
Dans le livre sont cités deux poèmes que
l’auteur prétend être du répertoire de FERID, maquisard algérien. Il apprendra
après l’indépendance de 1962 que ces vers viennent de la main de René VAUTIER
lui-même, VAUTIER fortement impliqué dans l’indépendantisme algérien, notamment
grâce à sa caméra avec laquelle il tournera de nombreux documentaires sur le
sujet (il existe un assez impressionnant et redoutable coffret). Le roman est
étayé de correspondances écrites entre divers personnages de l’histoire, et
leur motivation ou non à finir par penser à déserter, refusant cette sorte de
leitmotiv « N’en tuez quand même pas trop ».
En préambule de ce petit roman, les
diverses préfaces qui l’ont précédé. Car plusieurs éditions virent le
jour : l’originale aux éditions de Minuit, une réédition en 1991 fit long
feu aux éditions Manya, la présente édition étant celle proposée par L’échappée
en 2005. Trois préfaces, deux de l’auteur qui, pour cet exercice, a trempé sa
plume dans le curare et règle certains comptes jusqu’alors restés en suspens.
Un roman chargé d’histoire que les éditions L’échappée ont eu l’excellente idée
de rééditer et de « mettre à jour ». Il constitue une base
supplémentaire de support pour rendre compte que tout le peuple n’a pas suivi
aveuglément et comme un seul homme René COTY, Guy MOLLET ou Charles de GAULLE.
Agréable à lire et plein d’infos, il fait partie de ces bouquins qui ont marqué
le militantisme français.
(Warren Bismuth)
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