Cette sinistre affaire est ressortie des
malles en 2018 lorsque le chef de l’État français, Emmanuel MACRON, a déclaré
en septembre que le militant communiste Maurice AUDIN avait bien été
assassiné à Alger en juin 1957 par des soldats français suite à une séance
de torture qui aurait mal tourné. Pourtant, dès 1958 et grâce à un petit livre
de Pierre VIDAL-NAQUET sorti à l’époque aux éditions de Minuit, alors
impliquées contre la guerre d’Algérie et contre la torture en Algérie, toutes
les pistes avaient déjà été explorées et il en avait effectivement résulté ce
que MACRON déclarera 61 ans après les faits.
Le cas de Maurice AUDIN n’est malheureusement
pas un cas isolé puisque le livre revient sur les tortures effectuées notamment
sur Henri ALLEG, Belkacem ZEDDOUR et Georges HADJADJ, pour ce dernier en même
temps et en même lieu que Maurice AUDIN. Pour Henri ALLEG, le supplicié
relatera son enfer dans le livre « La question » en février 1958,
déjà aux éditions de Minuit, livre qui sera saisi par deux fois par les
autorités françaises, tout d’abord le 23 mars 1958, puis le 13 novembre 1959, par
une plainte contre X pour « atteinte au moral de l’armée ». Dans son
bouquin, ALLEG écrit déjà brièvement sur le sort de Maurice AUDIN.
AUDIN était un militant du Parti Communiste
Algérien, dissous. Il est arrêté le 11 juin 1957 à 23 heures à Alger pour avoir
hébergé des militants de l’ex-P.C.A. Il va être interrogé à plusieurs reprises
par l’armée française, aux côtés d’HADJADJ notamment. Puis tout devient plus
flou : officiellement, il s’est évadé d’une jeep le 21 juin 1957 vers 21
heures 40 « Que l’évadé n’ait pas
donné de ses nouvelles depuis cette date peut s’expliquer par le fait qu’il a
gagné un refuge discret, ou même qu’il a gagné le maquis », c’est la
version officielle. Oui mais aussi « L’évasion
du 21 juin ne serait… qu’un simulacre d’évasion, organisé en vue de couvrir un
décès survenu au cours ou à la suite d’une séance de tortures ».
Pour Pierre VIDAL-NAQUET, c’est bien sûr
la seconde éventualité qui le pousse à vouloir faire jaillir la vérité. À cette
époque, l’affaire Maurice AUDIN a déjà été traitée, peu, par les médias de
métropole, mais c’est l’article de Laurent SCHWARTZ, le 21 janvier 1958 dans
l’Express, qui met le feu aux poudres, alors que la femme d’AUDIN, Josette, se
bat bec et ongles pour que son mari soit retrouvé ou que sa mort fut
officialisée. Lors de l’arrestation de son mari, elle fut forcée à rester
barricadée chez elle en compagnie de leurs trois enfants durant quatre longs
jours. Elle va entamer un travail de titan.
Quant à Maurice, il fut assigné à
résidence au centre de triage d’El-Biar à partir du 11 juin. Puis, plus rien à
partir du 19 juin. Le bonhomme s’est évaporé. Pierre VIDAL-NAQUET va faire sa
propre enquête, minutieuse, scrupuleuse, pour arriver au résultat
suivant : AUDIN est bel et bien mort, assassiné sous la torture par des
soldats français. L’évasion serait en effet une mise en scène car AUDIN était
mort avant. L’article de Laurent SHWARTZ abondait déjà en ce sens et dénonçait
l’État français : « L’affaire
AUDIN en elle-même doit être séparée des solutions du problème algérien. Ceux
qui ont protesté contre l’arbitraire, dans cette affaire ou dans d’autres,
avaient les opinions les plus variées sur ce problème ; ils ont agi pour
des raisons de conscience. Mais il est évident que l’inconscience de nos
gouvernements en face des tortures, l’abandon des responsabilités se
reproduisent identiquement devant tout le problème algérien. Il est temps
d’arrêter ce processus de décadence. L’affaire Audin aura été un moment de la
prise de conscience de l’opinion publique devant les dangers d’une disparition
de la démocratie en France ».
À la demande, entre autres, de
VIDAL-NAQUET, un « Comité Maurice Audin » va se créer (il en sortira
d’ailleurs un livre, bien sûr aux éditions de Minuit en février 1961,
immédiatement saisi). Il est intéressant de noter qu’à partir du 19 juin 1957,
soit deux jours avant « l’évasion » d’AUDIN, la seule trace de vie
émanera des parachutistes français.
Ce bouquin est une bombe destinée à l’État
français, à la fin de la IVe République agonisante et au début de la Ve. Il fut
donc originellement sorti en 1958, mais dans la version toujours disponible de
nos jours, il est augmenté d’une préface, d’un long chapitre sur la disparition
de Maurice AUDIN telle que VIDAL-NAQUET a pu la conclure, ainsi qu’une longue
« Chronique d’un déni de justice » que l’auteur a rédigé en 1989, ce
qui invalide en quelque sorte le sous-titre « 1957-1978 ». L’enquête
est passionnante, elle permet de mieux comprendre les enjeux de la guerre
d’Algérie, mais aussi et surtout les coups bas, les non-dits, les
dissimulations, et bien sûr la torture. C’est un essai remarquable en tous
points, qui fait se questionner sur le temps qui passe : l’État français a
mis plus de 60 ans pour valider des preuves déjà en place peu après la
disparition d’AUDIN, et récoltées par un collectif de militants infatigables.
Bien sûr, ce brûlot est à lire, il est phénoménal et n’est pas du genre à
enfoncer des portes ouvertes. Sa réédition de 2012 est toujours disponible aux
éditions de Minuit, je vous invite à vous la procurer d’urgence. VIDAL-NAQUET
ne tire pas la couverture à lui, il précise qu’alors il était un jeune homme à
la plume peu sûre, et que c’est donc Jérôme LINDON, directeur des éditions de
Minuit, qui a rédigé en partie le texte original de 1958. Du quatre mains sur
mesure en somme.
(Warren
Bismuth)
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