Reconstituons tout d’abord le contexte de
cette pièce de théâtre dans laquelle un couple échange sur l’amour libre. Les
deux auteurs de la pièce sont mari et femme dans le civil, et cette fiction n’en
est pas vraiment une puisqu’elle puise dans l’expérience de leur couple, ce qui
laisse supposer qu’elle fut difficile à écrire.
Le mari d’Antonia (dont nous ne
connaîtrons pas le prénom) peut s’enorgueillir de posséder plusieurs
maîtresses, ce qui met sa femme dans un état de dépression presque constant
avec tentatives de suicide et introversion. En un sens le mari culpabilise et
propose à Antonia une union libre où elle pourra elle-même et à sa guise
choisir ses amants en toute liberté. Elle pourra séduire à son aise pour se
rassurer qu’elle est encore femme et non pas « femme de ». Mais le
jour où Antonia annonce à son mari qu’elle vient en effet de dénicher la perle
rare, il n’est plus du tout aussi convaincu de la perspicacité de son offre et devient
subitement et maladivement jaloux.
Dario FO, disparu en 2016, fut l’un des
grands théâtreux. À la fois dissident, clown, libertaire engagé, il dynamita
l’ordre établi par un théâtre loufoque, burlesque mais toujours très contestataire.
C’est encore le cas ici où, dans une pièce écrite à quatre mains avec sa femme
Franca RAME, ils bousculent ensemble les conventions du couple, osant discuter
à bâtons rompus sur l’amour libre. Mais attention, si le fond est sérieux voire
tragique, la forme est là encore fort burlesque avec des situations cocasses,
très drôles, jusqu’aux mises en scènes hilarantes du suicide d’Antonia. La
pièce est courte, 72 pages, parfaitement rythmée, rapide, rendant ce
face-à-face rigoureusement décalé. Le social est cependant très présent :
l’homme n’a pas de nom, comme pour bien préciser qu’un mufle pareil ne mérite
pas qu’on le nomme, alors que sa femme, en souffrance, paradoxalement existe
par son identité. En filigrane, on perçoit le thème du féminisme.
Cette pièce de pure régalade vient d’être
rééditée en 2018 par L’Arche Éditeur, elle avait été traduite pour la première
fois en France en 1983. Derrière le sujet grave, c’est un vrai bol d’air, un
feu d’artifice de dialogues croquignolets qui nous sautent à la figure et nous
rappellent que Dario FO fut l’un de ces êtres immensément talentueux qui devrait
être plus souvent étudié.
(Warren
Bismuth)
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