Nicolas MATHIEU réitère en cette rentrée littéraire 2018. Après
« Aux animaux la guerre » que j’avais remarqué au festival
international du polar de Lyon, et que j’avais lu, mais de manière trop
saccadée pour en proposer une chronique qui lui rende honneur, je saute sur
l’occasion en découvrant son nouveau roman.
J’ai failli passer à côté, je l’ai cherché longtemps en vain en
librairie, je ne le trouvais pas. Il était pourtant sous mes yeux mais le choix
d’Actes Sud concernant la couverture a généré des a priori. Néanmoins,
la quatrième de couverture me ramène à cette noirceur, à cette description
méthodique des classes populaires en plein déclin des années 80-90. Je me
lance, pleine d’espoir.
L’action démarre en 1992 (elle se poursuit sur 6 ans), sur un
chapitre nommé Smells like ten spirit (écouté en boucle à peu près à la
même période, enfant des années 80, je suis entrée dans la musique par Nirvana)
et fait immédiatement écho. Un été de canicule comme un autre, des ados
désœuvrés, Anthony, le personnage principal de cette épopée, 14 ans, et le
cousin, un peu plus âgé mais « tout
le monde lui donnait facile vingt-deux ou vingt-trois ans ». On
s’ennuie ferme à Heillange, petite ville sinistrée de lorraine où le chômage
est monnaie courante, alors on fait des bêtises, pour tromper l’ennui. On vole
un canoë, et on file vers la plage des culs nus en espérant tromper la nuit, et
pourquoi pas voir quelques morceaux choisis de corps féminins. En plein dans
l’adolescence, les corps bouillonnent et imposent leur volonté aux esprits
adolescents. Le fil conducteur du roman, c’est une moto, volée, symbole du
passé mais aussi de l’avenir, qui va orchestrer rivalités et violences.
Anthony, c’est une famille qui peut sembler banale. Une mère,
« la salope » de son petit surnom, parce qu’elle jouit encore d’une
grande beauté pas fanée pour deux sous et qu’elle a su faire tourner les têtes,
en son temps. Le père, bourru, alcoolique au dernier degré, qui gueule, qui
bosse à l’usine, pas le mauvais gars, mais il en impose sur le foyer, gare à
ses coups de sang.
Les amis, les amours, les galères. Anthony s’entiche de Steph,
la nana qui habite les beaux quartiers, dont l’avenir n’est pas déjà tout
tracé, dont le père, lui n’est pas ouvrier et qui aura peut-être droit à sa
lumière, au bout du tunnel, cristallisé par la capitale, cet Eden vers lequel
on s’échappe comme si l’on fuyait la peste.
Il y aurait beaucoup à raconter de cette histoire, des
personnages, tous singuliers qui la composent : Hacine, Coralie, les
parents des uns et des autres, les ouvriers, les femmes qui rêvent d’un
ailleurs en allant tremper à la piscine. 432 pages de rêves et d’espoirs, de
violence, de petites et de grosses bêtises, de reproduction du schéma familial
ou au contraire, cette volonté farouche de devenir autre chose ; Car
coincé dans une région sinistrée, si les parents ne sont pas des bourgeois, peu
de chance d’espérer aller bien loin. Ceux qui espéraient ardemment trouver le
moyen d’y échapper, se trouvent dès que possible aspirés par l’engrenage,
machine à broyer gigantesque, qui tient les rênes d’un destin contre lequel on
ne peut lutter.
Inscrit dans les moments les plus forts des années 90, ce roman
est noir, très noir. Sur le fil du rasoir, sans cesse, on s’attend à ce que
quelque chose éclate, fasse du bruit, du sang. De la rébellion en somme. A
travers la coupe du monde 98, on assiste de manière très claire à la manière
dont on s’y prend pour étouffer tout vent de contestation : nourrir le
peuple d’illusions et continuer à délocaliser, fermer des usines, paupériser,
alcooliser les gens et ne laisser aucune porte ouverte aux nouvelles
générations. Description aussi précise que glaçante de la classe populaire, ce
roman est sociologique : il rend compte à une période charnière de la
bascule inéluctable de la classe ouvrière vers le marasme le plus total. Que
feront leurs enfants ? Suit-on inéluctablement le chemin de nos parents,
peut-on s’en sortir ou nous berçons-nous d’illusions sans cesse renouvelées pour
taire la révolution ?
Quatre chapitres, aux titres évocateurs de « tubes »
radiophoniques de l’époque, nous entraînent dans ces vies auxquelles on
assiste, complètement impuissants. On en ressort assez émus, un peu révoltés.
Aussi étouffant que la canicule qui introduit le début du
roman, « Leurs enfants après eux » se lit d’une traite, on s’attache
à tous les personnages, loin d’être tout blanc ou tout noir, même ceux qui nous
semblent les plus hostiles sont émouvants, car ils ne deviennent pas ce qu’ils
sont par hasard.
Une pépite à ne pas négliger, un auteur à suivre.
(Emilia
Sancti)
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