Véritable moment de grâce : une pièce
de théâtre polyphonique et résolument moderne sur la vie, ou plutôt la
tentative de reconstitution de la vie de B-TRAVEN, l’énigmatique auteur
insaisissable qui a parcouru le monde. Cinq histoires distinctes. Celle
d’Arthur et Léon entre 1914 et 1940, Léon c’est TROTSKI, Arthur étant Arthur
CRAVAN, poète et boxeur contestataire. L’histoire de Dalton entre 1947 et 1955
dans laquelle il va être fortement question de cinéma. Cinéma aussi mais pas
seulement pour l’histoire d’Olivier (1994) et celle d’Alex (2009) qui sont par
ailleurs reliées et dont la première commence dans un squat. Quant à l’histoire
de Glenda en 1977, elle est celle de deux journalistes cherchant à écrire une
biographie de B-TRAVEN à partir de documents et de témoignages.
Nous avons déjà présenté B-TRAVEN dans ce
blog :
Aussi attardons-nous ici sur la pièce de
théâtre. Elle se joue donc sur plusieurs époques avec différents personnages
mais aussi différents lieux et contextes. Le tour de force de Frédéric SONNTAG
est de la mener comme un polar, avec ses questionnements, ses rebondissements.
Retracer la vie d’un homme aussi mystérieux que B-TRAVEN va s’avérer ardu pour
ne pas dire impossible. En effet, de fausses pistes en fausses preuves, de
légendes urbaines ou non en impasses, aucune suggestion ou piste ne semble
véritablement fiable.
Cette pièce évoque toutes ces légendes,
comme celle qui a tenté de faire croire que l’auteur du « Trésor de la
Sierra Madre » ou encore du « Vaisseau des morts » et autre
« La révolte des pendus » aurait été le commanditaire sinon
l’assassin de TROTSKI (ce dernier étant aussi l’objet d’une enquête dans la
pièce puisqu’il aurait été figurant dans un tout vieux film). B-TRAVEN a été toute
sa vie un artiste politisé mais reclus, loin du progrès et des micros, vivant
chichement et se contentant de peu. Anarchiste à la fois collectiviste et
individualiste, personnage ô combien complexe qui file entre les doits telle
une anguille. Pourtant la rumeur le fit passer pour le fils illégitime du
Kaiser GUILLAUME II.
Cette pièce est assez magique : plus
les protagonistes tentent de suivre les fils en déliant les nœuds, plus ces
derniers se multiplient. Tentative labyrinthique pour faire indirectement
parler un homme qui toute sa vie s’est tu et terré. Les situations en
deviennent parfois comiques. En fond il est question de la lutte
révolutionnaire aujourd’hui, ses fondements, ses enjeux, son impact.
Sans mauvais jeu de mots, je serais tenter
d’écrire que nous avons là une pièce maîtresse, pièce par ailleurs mise en
scène le 12 mars 2018 par le même Frédéric SONNTAG. Dans le style on détient là
un vrai petit bijou à la fois drôle, plein de suspens et historiquement
documenté (mention spéciale pour l’histoire politique et saisissante de l’implantation
de Coca-Cola en Amérique du sud). On y croise au détour de quelques pages
l’ombre et la plume de Rosa LUXEMBOURG ou encore celles du sous commandant
MARCOS, puisque bien sûr cette aventure un brin rocambolesque nous amènera
jusqu’au Chiapas, où B-TRAVEN a longtemps vécu. Quant à la plume de B-TRAVEN,
elle est elle-même bien représentée, régulièrement, par le biais de phrases
cueillies çà et là, insurrectionnelles.
« Je n’ai pas envie d’être de ces gens qui se
tiennent
sous les feux de la rampe. Comme
travailleur,
je me trouve immergé au sein de
l’humanité,
anonyme et obscur
comme
tout ouvrier qui apporte son lot de
contribution
pour faire progresser l’humanité. Mes
œuvres
ont de l’importance, moi, je n’en ai pas ».
Pourtant les protagonistes de cette pièce
essaieront de le hisser pour le mettre sous les feux de la maudite rampe. En
vain. Pourtant la propre femme de B-TRAVEN est interviewée. Pourtant le
perroquet empaillé du romancier tient un rôle prépondérant dans cette affaire
compliquée. Pourtant de nombreux témoins vont être visités. Mais B-TRAVEN reste
le mystère qu’il a bâti, impalpable et pourtant si présent. Une biographie qui
risque fort de finir en eau de boudin.
« Ma biographie ne vous décevrait pas, mais
elle ne
regarde
que moi et je veux la garder pour moi.
La
biographie d’un créateur n’a aucune importance.
Si
la personne ne peut pas être reconnue ou comprise
Par
son œuvre, alors elle ne vaut rien,
Pas
plus que son œuvre ».
B-TRAVEN aura ainsi vécu en homme libre de
toutes contraintes, dissimulé quelque part dans la jungle, loin des
projecteurs. Et pour parvenir à un tel degré d’invisibilité, croyez-moi, il
faut une sacrée dose de génie. John HOUSTON n’aurait pas contredit, ne
reconnaissant pas le romancier pourtant sur le tournage de l’adaptation
cinématographique du « Trésor de la Sierra Madre », qui tirera
discrètement sa révérence en 1969.
« Quand je sentirai venir ma fin prochaine,
je
me réfugierai comme un animal sauvage
dans
la brousse la plus touffue,
où
personne ne pourra me suivre ».
Cette phrase est celle d’un certain RET
MARUT, l’un des pseudonymes de B-TRAVEN, ils sont plus d’une trentaine, comme
pour mieux brouiller les pistes. Mission impeccablement accomplie pour SONNTAG
et Les Éditions Théâtrales qui ont sorti cette perle en 2018.
(Warren
Bismuth)
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