Denis RIGAL se considère comme un chien
vivant. Étudiant en France en pleine guerre d'Algérie, il va de fait se trouver
sursitaire pour son incorporation à l'armée (donc en Algérie) jusqu'aux accords
d'Évian de 1962. Mais rembobinons le film : RIGAL est un fils
d'anarchiste, lui-même plutôt orienté vers l'anarcho-syndicalisme et les idéaux
libertaires. Natif de Brioude, Haute-Loire, il « monte » à
Clermont-Ferrand, préfecture du Puy de Dôme, dans les années 50 pour ses études.
Là, en plus de la grande ville, il découvre d'un côté la passion de la
littérature, de l'autre le militantisme dit de gauche, celui qui s’oppose à la
guerre.
Clermont-Ferrand possède un évident
ancrage contestataire, syndicaliste, militant. Pour RIGAL c'est le lieu rêvé.
De manifs en meetings, il va peaufiner ses convictions, se frotter à l'extrême
droite, s'asseoir sur certaines illusions ou utopies politiques. Dans ce petit
bouquin il raconte la vie dans une ville moyenne de province alors que l'on est
étudiant, militant, et que la guerre se déroule, loin, de l'autre côté de la
Méditerranée.
Plus prosaïquement il rappelle la vie
locale, purement auvergnate, purement clermontoise : les ouvriers de
Michelin, les rues de Clermont, les petits bistrots, les rapports tendus entre
français et immigrés, le racisme ambiant. Mais la révolte, mais l'engagement
politique, syndical, et puis les « traditions » sociales locales.
Pour embaucher chez Michelin par exemple : « Avant d'embaucher un
jeune rural, on se renseignait auprès des notables du village : le maire,
pourvu qu'il soit de droite, et le curé ; jamais l'instituteur ; je
suppose que les choses ont changé : il n'y a plus beaucoup de prêtres, on
ne peut même plus être certains qu'ils votent à droite et un bon nombre d'entre
eux ne considèrent pas que le service de dieu doivent inclure la délation ».
Mais attention, ce n’est pas du tout un
récit nombriliste puisque l’auteur va brièvement rappeler les évènements de
Budapest en 1956 ainsi que la « disparition » de Maurice AUDIN en
1957, des petites touches très politiques qui viennent des tripes et, tout en
restant objectif, il dénonce et prend position : « Mais il faut d’abord, dit la sagesse
populaire, balayer devant sa porte : notre conscience avait à s’occuper
des crimes de l’Armée française, qui se commettaient en notre nom, et qu’on
nous demandait d’approuver ; pour les torts du FLN, c’était à ses
militants de s’en soucier (ce que très peu faisaient). La question obsédante
était la même pour tous les jeunes français : comment éviter de faire
cette guerre ou, pour ceux qui y étaient, en revenir vite et vivants ».
RIGAL est ce vieux bonhomme toujours
lucide qui se souvient. Il avait pensé à la désertion. La fin de la guerre sans
nom tranchera pour lui. Ce qu'il est devenu, il ne le dit pas. Pour lui
l'essentiel est de déterrer les souvenirs d'une période précise, celle de la
guerre d'Algérie, en un lieu très précis, celui de l'Auvergne, et faire revivre
toutes ces organisations politiques et syndicales qui se déchirent à l'époque
sur la situation outre-mer. La parution de ce petit bouquin est l’œuvre des
Éditions L'Apogée en 2018, un témoignage vif et sans nostalgie, livré comme un
bouquet de fleurs épineuses.
http://www.editions-apogee.com/
(Warren
Bismuth)
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