« Sur les traces de Kali » est un
court roman de 154 pages qui ne se laisse pas facilement saisir. L’auteur,
Bernard FAUREN, nous transporte tour à tour dans un univers où il est difficile
pour le lecteur de différencier rêve et réalité.
Tout le récit s’articule entre fantasme,
onirisme et psychanalyse. Les premières pages du roman s’ouvrent sur Denis, le
psychanalyste de Yohan, anti-héros à la recherche de sa fameuse Kali. Kali
c’est une femme mystérieuse, et c’est aussi une déesse de l’hindouisme chargée
de la préservation, de la transformation et de la destruction. Elle est en lien
étroit avec le temps qui détruit toute chose. Il est évident que la Kali de
Yohan entretient des liens clairs avec la divinité que nous venons de décrire.
Rien n’est jamais sûr dans les pages que
nous lisons : Yohan raconte sa première rencontre avec Kali, dans une
maison, lors d’une visite. Quelques pages plus loin nous apprendrons que ce
récit était faux, qu’il relatait uniquement le fantasme de Yohan sur cette
première fois qui, selon lui, aurait dû se dérouler ainsi, à ce moment-là.
L’action se divise en plusieurs temps
distincts : Denis, son rapport à Yohan et sa vie personnelle ; Yohan,
ses récits sur Kali, issus de ses souvenirs et un voyage, que l’on peine à
dater. Tout est onirique : le lecteur est dans la quasi-impossibilité de
démêler l’écheveau narratif. L’auteur fait bien de nommer les différents
(courts) chapitres « fragments », il s’agit en effet de bribes,
presque jetées çà et là, au bon gré du lecteur qui s’efforce de reconstituer un
puzzle. Les seules certitudes concernent nos deux individus.
Kali se cristallise dans toutes les femmes
que rencontre Yohan dans son cheminement : tout à la fois belle et
mystérieuse, elle sera cette inconnue sur le bateau qui se dirige vers l’Inde
ou encore la petite vendeuse de bidî (cigarette roulée vendue dans la
rue). Ces rencontres sont souvent irréelles, tout comme sa relation avec Kali,
bien que cette dernière s’accroche à un versant de la réalité non négociable,
tels que les lieux qui ont été visités ensemble.
Les personnages ne sont pas causants, ce qui
est paradoxal quand on sait le travail psychanalytique mené par Yohan. Il pense
plus qu’il ne se livre à Denis et ce dernier va lui-même cheminer dans sa
propre vie, inspiré par ce qu’il reçoit. L’ensemble de l’ouvrage s’envisage non
seulement sous son aspect irréel, comme onirique mais aussi sous l’aspect
sensoriel : le récit est très empreint de la philosophie hindouiste, on
trouve de nombreuses références au tantrisme notamment, ce qui renforce
indubitablement l’aspect évanescent de l’action.
Le cheminement « physique » de
Yohan préfigure son cheminement intellectuel, sa quête spirituelle, tout autant
qu’un retour aux sources, un retour sur un amour qu’il sait définitivement
perdu mais qu’il ne peut arriver à oublier. Roman à la fois sensuel et
déroutant, les images qu’il nous inspire sont vives et tranchées, à l’image du
caractère de Kali, dont la féminité est transcendée. Cheminement acté, si je
puis dire, dans le roman, car certains fragments se terminent et sont repris
dans le fragment suivant, conférant un rythme soutenu au récit, et une grande
clarté. Cela dissout aussi les individualités : Denis et Yohan se
rejoignent car leurs récits se complètent l’un l’autre. L’Inde, elle aussi,
viendra cristalliser leurs similitudes alors qu’au départ, tout les sépare, ou
presque.
Chaque début de fragment est écrit dans un
ton de gris qui permet de chapeauter la suite du récit : reprise de ce qui
a été dit la page d’avant, introduction discrète, monologue intérieur, toutes
les hypothèses sont permises.
Un roman aux finitions soignées dont le
récit énigmatique ne se donne pas facilement, format poche, qui se laisse lire
d’une traite. Aux éditions Brandon, 2018.
(Emilia Sancti)
Effectivement la reprise des phrases similaires est la marque de fabrique du style de Bernard Fauren.
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