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vendredi 18 octobre 2019

Paul NIZAN « Aden Arabie »


Étouffé, saturé, dégoûté par la France et surtout les français, leur mode de vie, la compétition, la surconsommation, les vieilles coutumes et les vieux réflexes capitalistes et bourgeois, Paul NIZAN part s’aérer entre septembre 1926 et avril 1927 au Yémen, du côté d’Aden, alors sous domination britannique. « Chacun veut assurer son évasion par ses propres moyens ». Les plaies de la première guerre mondiale sont encore béantes dans les esprits, le traumatisme reste entier. Et NIZAN de ne plus pouvoir supporter l’humain.

Ce texte, premier bouquin de NIZAN, est un essai doublé d’un récit de voyage. Un essai pour le début et la fin du récit, avant que l’auteur ne parte prendre l’air en « Arabie », et après qu’il soit revenu. Tout le reste, la couche fondante entre les deux, est la description d’un pays, d’une région arabe, mais aussi de ses habitants, là aussi les coutumes, là aussi l’humain, là aussi le dégoût.

L’essai est offensif, sorte d’attaque à la mitraillette. Souvenons-nous de la phrase entamant le livre, ô combien célèbre et ô combien révélatrice : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». L’entrée en matière est au moins immédiate, un coup de fer à chauffer au cœur de la couenne.

« Mais nous sommes faibles, l’impuissance est en nous, nous sommes dressés à l’esclavage docile depuis notre enfance confortable : nul moyen de dépister en nous les sources de l’espoir, nous ne sommes pas sourciers. Nul moyen de comprendre que nous souffrons du désoeuvrement de nos besoins humains. Nos maîtres paraissent inébranlables, les machines qui laminent toutes les existences trop bien jointes pour être brisées ». Si ce n’était que ça, mais NIZAN ne supporte plus les philosophes, semble envier les suicidés, envoie des missiles au colonialisme. Alors il va voyager. Il a vingt ans.

Récit de voyage donc : l’auteur raconte ce qu’il voit, ce qu’il entend, peut-être pas de manière reposée mais en tout cas moins sur la brèche que lors du début du bouquin. Là-bas la culture locale semble être propriété des autochtones, les européens vivent à l’européenne, de nombreux paysages rappellent la France et l’économie est reine, tu parles d’un dépaysement ! En somme, l’électrochoc attendu n’a pas lieu (ou alors NIZAN préfère rester silencieux sur ce point), pourtant l’auteur adhère au Parti Communiste à son retour. Renaissance ? Fini l’adhésion aux idées d’extrême droite même si ici le récit est entaché de quelques réflexions antisémites. Nul ne change en un jour. NIZAN revoit à son retour ce qu’il a quitté : « Le cercle bouclé, je vis un matin le château d’If, et devant les collines blanches, Notre-Dame-de-la-Garde. J’étais servi : les premiers emblèmes venus à ma rencontre étaient justement les deux objets les plus révoltants : une église, une prison ».

Désillusion. Existe-t-il quelque part sur cette vieille terre un lieu où l’homme n’est pas un loup pour l’homme ? « C’est le moment de faire la guerre aux causes de la peur. De se salir les mains : il sera toujours temps de voir des frères. Je suis dans cette position de faire la guerre pour être complètement délivré de la peur qui m’atteignit comme une flèche, jusqu’en Arabie, quand j’avais le droit de me croire dans un lieu écarté et enfin pacifique. La fuite ne sert à rien ». Pamphlet aux accents d’un ZO d’AXA, radical, sans concession et sans nuances, « Aden Arabie » se lit comme une charge contre l’homme, colorée par un cynisme quelque peu nihiliste. Provocation ou mal-être ? Sans doute un peu des deux. Les phrases font mal, giflent, écorchent et griffent. Pourtant elles sont belles et parfois lucides. Avec ce bouquin NIZAN entrait dans la cour des grands à grands coups de poings sous le menton. L’entre-deux guerre avait son dynamiteur.

(Warren Bismuth)

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