Je
vous présente le bord de mer, puis Sam le narrateur, frère de Lise, elle-même
mariée à Henri Delamare, frère d’Édouard. C’est limpide et simple. Trop
peut-être. Car en fait Lise et Sam s’aiment, ne sont pas de la même famille,
Lise est une prostituée qu’Henri a décidé d’épouser. C’est à ce moment-là qu’il
a fallu lui faire croire que Lise et Sam étaient frères et sœurs, pour qu’ils
puissent continuer à s’aimer sans qu’Henri s’alerte. Alors Sam joue au golf
tranquilou avec Henri et Édouard, les frangins, des vrais ceux-ci, tous deux
commissaires-priseurs associés (ce qui aura une conséquence majeure sur
l’histoire, n’oubliez donc pas ce détail). Le Henri propriétaire d’une
rutilante Jaguar, qui expose sa fortune, ce qui donne envie de vomir à Sam.
La
situation est devenue intenable pour Lise et Sam. Ils décident d’exterminer le
bel Henri, mais avec talent et discrétion, pour ainsi devenir insoupçonnables
aux yeux des enquêteurs. Sam va kidnapper Lise, anonymement, puis va demander
une forte rançon à Henri qui paiera, bien entendu, puisqu’il aime Lise. Henri
doit porter une valise, seul, dans un
lieu isolé indiqué par Sam, qui sera présent en loucedé avec « sa »
Lise afin de vérifier si Henri dépose bien l’argent. Certes Henri se pointe
avec la valoche, mais tout à coup… « Il
a trébuché, Henri ».
Comme
souvent chez Tanguy VIEL, le récit est haletant et empli de suspense. Il
oscille entre grosse farce, roman noir et polar. L’écriture est bien sûr
impeccable, bien calée dans de longues phrases. Le scénario est parsemé
d’imprévus, rien ne se déroule jamais comme souhaité, de rebondissements en
poisses, le roman est vif. D’un côté on désire le lire lentement pour bien
s’imprégner des petites pépites diffuses, d’un autre nous voilà pressés
d’atteindre la chute (pas celle d’Henri hein) tellement le suspense est mis
redoutablement en place par VIEL.
Puis
son style tout cinématographique nous sort les vers du nez, nous impose tous
les détails, donc lecture confortable et sourire d’allégresse devant les
explications humoristiques de l’auteur : « Peut-être il était trois heures, quatre heures du matin sur la nappe
grise et violette de taches, et les quelques tasses qui signalaient ici et là
des buveurs de café ou d’eau-de-vie, dont l’odeur, mélangée à celle du tissu
vineux, à celle des mégots froids qui se mouraient écrasés dans les soucoupes,
à celle de la mer descendante qui semblait elle aussi avoir quitté la table,
dont l’odeur donc aurait pu écoeurer les convives si tous, les uns après les
autres, n’étaient déjà partis se coucher ». Il a régulièrement été
comparé à SIMENON. C’est encore vrai dans ce roman, auquel il faut ajouter une
pincée de scénario à la Columbo, ou plutôt des tics du lieutenant, son côté
gaffeur qui peut ici être retrouvé.
VIEL
possède un certain génie à déjouer le balisage, à nous faire glisser dans un
fossé, à nous prendre à contre-pieds. On se laisse avoir avec délectation. Ce
roman de 2006 est court, donc forcément indispensable pour passer une ou deux
soirées succulentes avec des personnages bien dépeints, très crédibles et modernes.
Oui VIEL c’est SIMENON qui se serait coincé un doigt dans une porte, se serait
badigeonné le ventre de poil à gratter, l’essayer c’est l’adopter. Ce roman est
une petite merveille pétillante et sombre à la fois, savant dosage pour un
auteur très talentueux dont la plupart des ouvrages sont sortis aux Éditions de
Minuit.
(Warren Bismuth)
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