Cette chronique existe grâce à un SMS, un
samedi matin d'avril.
« Et des 4 finalistes du Goncourt
premier roman, j'en connais aucun. C'est généralement un très bon livre qui
gagne. »
Et comme, moi non plus je n'en connaissais aucun,
je me suis connectée et j'ai cherché. Enthousiaste, sur quatre auteur-es
nominé-es, trois sont des femmes. Chouette. Je fouine, je cherche, je me dis
que je les lirais bien tous, histoire de me faire une idée de la sélection pour
ce prix. Un seul est disponible sur le bassin de bib que je fréquente, c'est
« Grand frère », de Mahir GUVEN. Ça tombe bien, c'est celui qui me
disait le plus. Je réserve, je suis deuxième sur liste d'attente. Nous sommes
le 7 avril. Le sésame arrive entre mes mains le 26 avril. Je patiente encore un
peu, je dois terminer mon ouvrage en cours. Le 4 mai la nouvelle tombe, le
Goncourt du premier roman est attribué à Mahir GUVEN, je suis en pleine
lecture, à 30 pages de la fin. Autant dire que je suis JOIE, car ce bouquin est
à la fois un coup de cœur et un coup de poing, un peu sec, dans ma face. C'est
pour ce genre de rencontre que j'écume les gazettes littéraires et les sites
Internet, et que je parcours les allées des bibliothèques iséroises.
Un grand frère présuppose un petit frère.
Une fratrie, un daron et une daronne. Au dessus de tout ça il y a encore les
vieilles, la bretonne et la syrienne. La famille est mixte, franco-syrienne, le
daron est syrien, il fait tout comme une mère, la cuisine, pour ses fils qu'il
réunit chaque vendredi. Il se dit communiste, est chauffeur de taxi et critique
ouvertement les choix de l'aîné qui préfère tafer avec l'ennemi et qui
reçoit ses courses directement sur son smartphone. La maman est décédée trop
tôt en laissant un trou béant dans le cœur et dans la vie des trois hommes. La
vieille du bled a fini en maison de retraite, un secret que l'on garde
soigneusement : ça le fait pas trop que d'autres s'occupent des anciens,
en général, la fin de vie, c'est une affaire de famille.
Le narrateur, c'est le grand frère, le rhey,
qui fait de la maille en faisant le chauflard, pour une plateforme
célèbre. Il aime les zouz, le gazon bien que ce soit haram.
Du chichon il en a fait passer, avant de se faire serrer par les h'nouch.
Depuis il joue ponctuellement les balances auprès du keuf, Le
Gwen, histoire de pouvoir continuer à arpenter tranquillement le tiéquar,
sans passer par la case zonz.
Le petit frère, il est parti, il n'a jamais
fait les mêmes choix que les autres. Ça a commencé avec le foot, inséparables
avec le grand frère. Mais il a été attiré par la mosquée, par le discours de la
mamie syrienne, arrivée en France pour échapper à la guerre, et qui l'initie à
la religion musulmane. Le grand frère, il s'en balek, il va pas à la squem.
Le petit frère finit par abandonner le foot et se met à lire. Le Coran. Quand
le grand fricote avec la teuteuh, le petit choisit de faire des études,
il devient infirmier. Deux parcours différents et pourtant un lien qui jamais
ne s'efface.
Le petit il veut servir, il veut aider, il
veut sauver. Sa décision est prise, il retournera au Cham, par le biais
d'une association. Il va rejoindre un hôpital de fortune pour être formé sur le
tas. D'infirmier il devient médecin et s'improvise chirurgien. Seul, il gère la
clinique, et se confronte nécessairement de près à la guerre, aux armes, aux
grenades traficotées qui sont transportées dans une glacière parce qu'au dessus
de 35 degrés, elles explosent. Aux drone bricolés qui transportent des charges
explosives. Aux bombes. Humaines.
Dans sa banlieue le grand frère ne pipe mot
mais n'en pense pas moins : le petit frère, en Syrie, il fait n'importe
quoi. Le père est triste, les tablées ont disparu. 3 ans qu'il est parti faire
l'infirmier, jouer à la guerre, finalement personne ne sait.
Un jour il revient. Sauf que quand on
revient du Cham, c'est pas par hasard.
À couper le souffle. Les chapitres alternent
entre le point de vue du grand frère, qui parle de sa vie quotidienne, de sa
famille, ses amours et ses galères. Et qui gère le retour du petit, sans savoir
vraiment comment ni pourquoi il est revenu. C'est qu'il est mutique sur la
question le gamin. L'aîné n'a qu'une seule obsession, sauver son frère. Aux
lendemains des attentas du 13 novembre, la France est en guerre contre les Taqqiyah,
ceux qui rentrent du bled, formés à se faire sauter à n'importe quel
moment et qui se dissimulent derrière l'apparence de citoyens lambda. La prison
lui pend au nez, pour complicité, quel que soit l'engagement du cadet
d'ailleurs. Même l'étiquette humanitaire ne le sauvera pas : il est allé
en Syrie, il a mis un pied en enfer, ça ne peut pas être anodin.
Les chapitres consacrés au petit frère sont
plus rares. Il nous parle de son retour en Syrie, sur la terre de ses ancêtres
paternels, de son émotion. De la guerre et des horreurs qui vont de pair. De
son engagement, de sa mission même, à sauver les autres. Et puis la glissade,
lente mais inexorable, avant, enfin, son retour en France.
La fin du roman lèvera toutes les ambiguïtés
possibles, c'est une histoire à la fois belle et dure d'un amour fraternel qui
ne faiblira pas, même compte tenu des circonstances. C'est un autre regard sur
les motivations, les projets de vie de ces gamins qui grandissent dans les
cités, contrôlés par les flics, et qui sont souvent tirés vers le haut par des
parents inquiets, prêts à vendre leur chemise pour qu'ils sortent d'un
engrenage, voire qu'ils n'y entrent pas. Le dernier chapitre, l'épilogue, nous
donne un aperçu du pourquoi et du comment de ce livre.
Je sors de cette oeuvre profondément émue
tant on ressent l'implication de l'auteur, à travers les mots, les sentiments
du grand frère. Concernant le vocabulaire d'ailleurs, grand bravo à l'auteur
qui a utilisé le jargon bien particulier des gamins des cités, mélange de
verlan et emprunts fréquents à des langues telles que l'arabe et le gitan. Tout
au long de cette chronique je fais d'ailleurs exprès d'en utiliser le plus
possible (en italique) : pour savoir de quoi je parle précisément, il faut
aller regarder le glossaire à la fin du livre. Achetez-le, empruntez-le, peu
importe mais surtout lisez-le. C'est aux Éditions Philippe Rey. Et encore un
immense bravo à Mahir GUVEN : ce Goncourt, il est amplement mérité.
(Émilia Sancti)
Merci pour ce bel article, on sent l'émotion, comme celle qui se dégage de ce lourd livre, ce roman si fort, si brûlant.
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