C’est toujours avec une grande émotion que
je retrouve PENNAC, un auteur qui résonne singulièrement à mon cœur. Ici c’est
une séance d’exorcisme à laquelle il se livre devant nous. Son frère. Décédé.
Pendant longtemps, PENNAC n’a pas pu en écrire une seule ligne. Maintenant, 2018, il
se lance, il tente le saut sans filet. Comme les mots ont du mal à sortir, il
va les distiller : un bref chapitre consacré à son frère, un bref chapitre
en italique consacré à un autre de ses héros : le Bartleby d’Herman
MELVILLE, merveilleux personnage écrasant une nouvelle de 1853, héros que
PENNAC a fait revivre au théâtre, un PENNAC littéralement fasciné par ce
Bartleby qui est pour lui la plus grande réussite de la littérature, un
Bartleby pour lequel il ne va pas tarder à oser un parallèle avec son propre frère
Bernard, mort donc.
Bernard avait 5 ans de plus que Daniel au
cœur d’une fratrie de quatre frangins. Ce Bernard a toujours servi d’exemple
pour le petit puis le plus grand Daniel, dès l’enfance. Mais comme la plume de
Daniel a du mal à faire partager les souvenirs, il digresse avec Bartleby, le
texte de MELVILLE, il laisse place à ce qui a déjà été écrit par MELVILLE
lui-même. Quand il reprend les commandes, c’est pour conter une anecdote
savoureuse, à la façon PENNAC, pour dédramatiser le thème du récit tout en
revenant in extenso sur Bartleby et la pièce de théâtre qu’il a jouée :
« Je jouais à vingt et une heures,
les spectateurs avaient dîné, ils venaient en famille. La digestion parfois
endormait les plus âgés. Je prenais garde à ne pas les réveiller tout en
veillant à ne pas endormir les autres ».
Retour sur le frère, cet exemple de
lenteur. Petit détour par un autre frère, mort lui aussi. Alzheimer. Et encore
cet humour noir si particulier pour exorciser une visite qu’il lui
rendit : « Dès que je me
trouvais en sa présence je me sentais tout à fait empêché. Me
reconnaissait-il ? En réalité, c’était moi qui ne le reconnaissais pas, et
j’en étais paralysé ».
PENNAC est un auteur qui se raconte rarement,
il préfère parler des autres. Ici il se livre comme jamais, ce récit est à coup
sûr le plus intime, le plus personnel, et sans doute celui pour lequel il a le
plus souffert. Malgré tout il ouvre son cœur pudiquement, avec délicatesse et
tendresse. Et puis ces extraits de Bartleby, quel bonheur de le retrouver,
celui-ci ! Et une question se pose ici : Bartleby ne serait-il pas le
premier personnage littéraire kafkaïen ? Quelques décennies avant
KAFKA ?
En fin d’ouvrage, cette petite réflexion
de PENNAC sur l’utilité des morts : « Aujourd’hui le destin des morts est d’occuper les fonds d’écran »,
ainsi Daniel peut dire bonjour à son Bernard dès qu’il allume son ordinateur.
Et nous disons merci à PENNAC. Pour l’ensemble de son œuvre. Et pour son
sourire. L’un des plus radieux qui existent et qui donnent l’énergie nécessaire
pour aller plus loin.
(Warren
Bismuth)
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