En refermant « Changer d'air » de
Marion GUILLOT, je me disais que le chroniquer n'allait pas être chose facile.
C'est son premier roman, il a donc forcément une saveur particulière et le
récit l'est tout autant.
Le titre nous aiguille bien, changer d'air
c'est la possibilité de tout quitter, de partir. C'est le moment du bilan, de
l'introspection. Et c'est Paul qui s'y colle, comme ça, sur un coup de tête. Ou
presque.
Paul est enseignant de lettres en lycée.
Après des vacances a priori agréables en compagnie de sa jolie femme, Aude, et
de leurs enfants, Brice et Antoine, Paul reprend le chemin de la rentrée tout
en méditant sur les dernières semaines et avec sa paire d'espadrilles aux
pieds. Chaussures estivales, symbole de farniente, qui commencent à s'user,
jusqu'à ce que les cordelettes de la semelle s'échappent une à une.
Prémonitoire ?
Paul reprend ses habitudes, il vit non loin
de Lorient, sur une sorte de presqu'île depuis 2 ans, après avoir quitté le
tumulte de la vie parisienne. Rituel matinal, il attend son bateau (pour 10
minutes de traversée) tout en lisant son journal, sirotant son café et tirant
sur sa cigarette. Tableau anodin en apparence mais la scène qui va se dérouler
devant lui va totalement remettre en question sa propre vie. Arrivé devant son
établissement, après s'être remémoré ses premières années avec Aude, il décide
tout bonnement de foutre le camp.
Paul n'est pas très clair avec ses propres
sentiments, il ne désire plus sa femme mais il n'est pas en désamour de manière
évidente. Ses enfants le laissent assez froid, il choisit de partir sans s'en
inquiéter, déléguant à sa femme le soin de s'en occuper. Aude, il ne lui
exprime pas son désir de partir, tout est dans l'implicite, p. 36-37 « Sans
doute n'avait-elle pas compris que je ne retournerai plus dans ce lycée.
Qu'aussi, selon une coïncidence que je n'étais pas en mesure de bien saisir,
encore moins de lui expliquer, j'allais partir, je n'avais pas le choix, que je
l'aimais beaucoup mais que je n'avais plus envie que nous nous touchions (…) ou
pour lui demander, suivant la pente de ma lâcheté (…) quelque chose comme
l'autorisation de m'en aller et de la laisser là, avec nos fils, que je serais
soulagé de ne revoir qu'une fois par mois. »
Ce roman s'annonce donc comme étant celui
d'une fuite. Mais que Paul cherche t-il à fuir ? A priori rien dans son
quotidien ne semble être véritablement problématique. Les pages qui suivent
nous apprendront qu'il ne s'agit pas tant d'une fuite que d'une mise en tension
d'un individu qui rêve de tranquillité. Lecteur acharné de Platon, le narrateur
fantasme un retour à cet état de grâce où il avait tout loisir de lire ce qui
lui tenait à cœur. Ces ouvrages, l'intégralité des Dialogues, achetés au
fur et à mesure de sa vie qui passe, se retrouveront ainsi dans des boîtes à
chaussures, le tout chargé en voiture.
Paul va retrouver son meilleur ami Rodolphe
(vraiment son meilleur ami ?), va tenter de se lier à Simon, la rencontre
presqu'improbable dont Paul va forcer l'amitié, va craquer devant le décès
d'Henri (je vous laisse découvrir ce fameux Henri, sur lequel va se concentrer
une grande partie du nœud du roman) et va se livrer à des excentricités
diverses (Black Moor et sa « poussette ») qui l'amèneront inexorablement
au bord du gouffre.
De l'hôtel à l'ami charitable, jusqu'au
petit T2 du centre ville de Nantes, tout neuf dans un quartier d'affaires, nous
assisterons à cette recherche d'une homéostasie brisée, où Paul devient
complètement passif face à ce qui se joue, devant lui et dans son dos.
Impossible, jusqu'au bout, pour lui, d'expliciter ses sentiments quant à la
situation mais tout est bancal, c'est une certitude.
J'ai eu envie de rire, à de nombreuses
reprises, et pourtant, ce récit n'a rien de drôle. À trop chercher son idéal,
Paul se perd, jusqu'au délire. C'est truculent, les détails auxquels il
s'accroche, la place des meubles dans son nouveau petit logement, ce bar qu'il
faudrait démonter pour installer le lavabo tant attendu, jusqu'au bocal à
poisson rempli d'eau saumâtre, c'est presqu'un ressort comique. L'acmé est
cristallisée dans cette scène de vaudeville où il réunit (dernier quart du
roman) les rares personnes à graviter encore autour de lui.
J'ai trouvé ce récit très intéressant, très
juste aussi, à de nombreux égards, et sans doute que la difficulté à raconter
ma lecture vient du fait que je me sens quelque part touchée plus profondément
qu'il n'y paraît, comme un écho, parfois à un quotidien routinier. J'avoue
aussi jalouser profondément le talent de Marion GUILLOT, à savoir poser le mot
juste dans une phrase simple et néanmoins élégante. Je ne manquerai donc pas de
lire son deuxième roman, « C'est moi » pour confronter mon ressenti à
la chronique publiée ici même par mon compère début février 2018.
À chaque fois, aux magnifiques Éditions de
Minuit.
(Emilia Sancti)
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