Après un roman graphique « octobre
17 » célébrant à sa façon le centenaire de la révolution russe, ROTMAN
donne le sentiment d'apprécier les commémorations avec, pour le cinquantenaire
de mai 68, cette nouvelle BD au coeur des événements historiques. Cette
fois-ci, c'est Sébastien VASSANT qui se colle aux pinceaux deux ans après sa
superbe « Histoire dessinée de la guerre d'Algérie » en tandem avec
Benjamin STORA. La légitimité de ROTMAN pour ce dossier semble évidente
puisqu'il a vécu mai 68 en direct.
Ici, la BD se découpe en plusieurs
parties : côté manifestants les revendications, les barricades érigées,
les nuits d'émeutes, la contestation qui se radicalise, s’essouffle au moment
même où déboulent les ouvriers enfin grévistes. Côté pouvoir, premières
réactions de l’État (anecdote : lorsque de GAULLE apprend les premières
manifestations, il est dans son bureau de l’Élysée avec un certain FERNANDEL
!), premières mesures, divorce violent entre de GAULLE et POMPIDOU son pourtant
premier ministre depuis 1962, dissension née à la suite de la demande de
réouverture de la Sorbonne par POMPIDOU pour calmer les esprits, entraînant une
radicalisation du gouvernement gaulliste.
Le récit s'articule également sur une
fiction représentée par un couple de jeunes étudiants manifestants, une fiction
qui par ailleurs n'apporte pas grand-chose à un documentaire déjà très bien
fourni et précis. N'oublions pas que ROTMAN a dans son escarcelle la réalisation
d'un remarquable reportage sur mai 68 (« 68 » en 2008 - déjà pour un
anniversaire !).
Le déroulé jour par jour est très bien
rendu, les événements marquants de ce mois de folie furieuse, les doutes au
sommet de l’État, la panique généralisée. Et puis il y a les futurs ouvriers grévistes,
pourtant hostiles au départ au mouvement étudiant, les syndicats et le Parti
Communiste qui freinent des quatre fers, mais rapidement débordés par les
manifestations spontanées, impuissants, sans aucun poids, alors que
politiquement les alliés MITTERRAND et MENDES-FRANCE se tirent dans les pattes
pour la direction et le prestige de la gauche.
La paralysie touche la province et, si une
partie des manifestants et grévistes croit à la révolution, la majorité n'est
là que pour faire avancer les réformes, il ne faudra pas compter sur tout le
monde en cas de coup d’État. D'ailleurs la gauche radicale n'en veut pas de cet
État, préfère rester du côté de la contestation (de « la chienlit » a
dit de GAULLE).
Côté dessins, assez expurgés, couleurs
passées, costards d'époque, pavés itou, bâtiments parisiens très soignés,
visages beaucoup plus caricaturés.
Cet album, sans pourtant entrer dans les
détails (manque de place), est un excellent support pour comprendre mai 68, et
pour les plus jeunes de constater que tout a failli basculer ce mois-là, enfin
« failli » est un bien grand mot, puisque cette BD montre aussi que
le peuple, les syndicats, les partis de gauche n'étaient pas prêts pour
récupérer un gouvernement pourtant en miettes, que la spontanéité du mouvement
étudiant a pris de court les apparatchiks, les professionnels de la
protestation qui s'avèrent vite inorganisés et revêches lorsque s'entrouvre une
porte. On ne va pas refaire l'Histoire, c'est inutile et non constructif, mais
en revanche il n'est pas inutile de se repencher dans ce que furent ces moments
uniques de la France d’après guerre, mai 68 en fait diablement partie, et
ROTMAN et VASSANT le font divinement vibrer.
(Warren
Bismuth)
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