Avec « Une partie de chasse »,
Agnès DESARTHE nous donne à lire un livre peu commun.
Le récit s'ouvre sur le point de vue du
lièvre, lièvre qui est le fil rouge de ce court roman. Il sort de son terrier
et se prend une balle près de l'oeil, mais qui l'érafle seulement. Le chasseur
qui récupère l'infortuné, c'est Tristan. Tristan n'est pas un chasseur, c'est
une pièce rapportée, complètement inadapté à la situation, le jeune n'a jamais
tué et ne le souhaite pas. Il a bien du mal à comprendre le jeu social d'une
bande de potes munis d'un thermos de café fort qui tirent sur tout ce qui
bouge, volatile ou animal à poils.
Mais alors pourquoi s'est-il joint à cette
sortie ? La faute d'Emma sa compagne, qui souhaite qu'il s'intègre aux
autres hommes du village. Tristan n'est vraiment pas motivé.
Le groupe qu'il rejoint se compose de trois
trublions : Dumestre, Farnèse et Peretti. Tristan n'a de cesse de cacher
le lièvre dans sa gibecière afin de le préserver, dans l'idée de le relâcher
plus tard quand il sera tranquille. Pendant ce temps, ça tire des perdrix.
Jusqu'au drame : Dumestre tombe dans un trou, et ne peut plus bouger. D'un
commun accord, Farnèse et Peretti se taillent pour aller chercher des secours,
là où ils sont, aucun réseau téléphonique. Tristan veille le blessé tout en
cherchant à le mettre à l'abri car au loin, la tempête gronde et elle s'annonce
dévastatrice.
C'est la tempête à tous les niveaux :
dans la « relation » Dumestre/Tristan, au petit village, dévasté par
des trombes d'eau, dans la tête d'Emma qui pressent qu'elle a fait une grosse
boulette, dans l'équipée du retour vers le village pour trouver du secours.
Tristan tue le temps en racontant une
histoire à Dumestre qui lui réclame (comme il lui réclame de le faire pisser,
passage très malsain quand on connaît l'intégralité du tableau). Tristan parle
de lui, de sa mère dysfonctionnelle, de son premier émoi amoureux, Astre, une
cousine. De sa rencontre avec Emma et de leur vie, contre vents et marées, dans
une bicoque qui prend l'eau de toute part (un peu à l'image de leur relation).
Dumestre racontera aussi, et ça, Tristan s'en serait bien passé.
Tristan est le seul du groupe à être désigné
par son prénom, et pas par son nom de famille, signe explicite du clivage qui
existe entre lui, jeune homme presque niais, inadapté, lunaire même et les
chasseurs, virils et terre-à-terre. Ce sentiment est renforcé par le dialogue
continu qu'il entretient avec le lièvre tout au long du récit, qui lui sert
presque de confident et de conseiller, à la Jiminy Cricket.
Le récit est court (153 pages) et assez
violent, il aboutit à un final qui l'on ne pouvait deviner au départ avec cette
partie de chasse sibylline. L'enjeu est conséquent, il s'agit presque d'un
rituel initiatique pour Tristan. Un roman d'apprentissage finalement :
« Qu'est-ce que c'est, cette chose qui
file, qui nous échappe et qui s'en va ? Se demande-t-elle ?
Disons que c'est votre jeunesse, fait le
lapin avant de disparaître. »
Une belle découverte d'Agnès DESARTHES, que
je n'avais jamais lue, aux éditions de l'Olivier dont j'apprécie généralement
la ligne éditoriale depuis bien longtemps (avec des réserves néanmoins sur
leurs choix plus récents – mais c'est une autre histoire).
Ça se laisse lire rapidement, alors pourquoi
ne pas se laisser tenter ?
(Emilia
Sancti)
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