Un hameau perdu au milieu de nulle part. Un barrage. Une brusque montée des eaux. S’ensuit un exode dans une panique générale. Une poignée d’individus décident cependant de rester sur place. Mais un homme semble étranger à cette agitation collective : Piotr. Un groupe se forme sur les hauteurs du village, retranché.
Ce groupe, intrigué par la réaction nonchalante et dénuée de toute émotion de Piotr, cherche à en savoir plus sur cet homme et se convainc d’aller fouiller chez lui. « Du premier jour où vous avez affaire à Piotr, il suscite en vous la paix d’un havre. Peu à peu vous vous enquérez la certitude : il n’est pas de problème dont il détienne la solution. Observateur, inventif, sagace, doué de sang-froid, il détecte l’anomalie avant qu’elle n’apparaisse, perçoit la fissure naissante dans votre pierre, l’humilité qui sourd, la maladie qui travaille, la pâleur suspecte, la mort qui chemine ».
Dans ses recherches, la petite bande déniche des photos, des lettres, seront-elles suffisantes pour reconstituer le parcours de l’être énigmatique qui semble ne pas être touché, pas concerné par le drame en cours ? Dans ces lettres, une signature, énigmatique elle aussi : André O.
Le narrateur déroule l’histoire sur fond de mystères. Piotr a participé à une guerre, il possède un frère jumeau, on pourrait d’ailleurs les confondre. Peu à peu de nouvelles révélations viennent pourtant opacifier un peu plus le personnage de Piotr. Qui est-il ? Qui est son frère ? Tandis que l’avenir paraît incertain : « Il nous faudrait bientôt vivre en marge du confort le plus élémentaire ».
Les résistants à l’évacuation pourtant préconisée par les autorités amorcent un semblant de réponse concernant Piotr, alors qu’il est temps de s’organiser afin de survivre : « Comme ces corps mouvants que forment les oiseaux dans le ciel, chacun circulant dans l’espace d’un groupe, assumant tour à tour la position du leader, du soutien ou du retrait. Ainsi fonctionnent les bancs de poissons, les fourmilières, les troupeaux, les hommes. Une économie de l’effort répartie entre tous, interchangeable, s’oubliant dans le groupe et s’exaltant en lui ».
Les autochtones ont-ils découvert une société de nomades libertaires évoluant dans un monde souterrain, une organisation secrète, révolutionnaire, sans foi ni loi, une sorte de Zone À Défendre (nous remarquerons ici le personnage de Camille, le prénom anonyme que se donnent les habitants d’une Z.A.D.) ?
Pour son deuxième roman, labyrinthique, Édith MASSON s’engouffre dans un texte dystopique, où tout espoir semble vain. Tout ici est labyrinthe, le décor souterrain empli de méandres comme ses personnages. Récit haletant, empli d’un vif suspense, porté par une écriture soignée, rigoureuse, qui nous embarque dans un monde quasi parallèle. L’étouffement n’est pas loin, l’atmosphère du roman étant suffocante, au cœur d’un monde de demain pourtant sans repères temporels ou presque, un monde où la nature semble avoir perdu ses droits.
« Le réseau des nomades, dit-il, s’étend au moyen d’une activité de recrutement intense et méthodique : les personnages utiles sont approchés par les réseaux sociaux, les sites de rencontre, tout moyen discret. Après une prise de contact suffisamment habile, suivie d’un long travail de persuasion au cours de multiples rencontres, ils sont invités à rejoindre la cohorte des experts, chercheurs et ingénieurs qui travaillent au peuple nomade ». Le texte est émaillé de questionnements, d’incertitudes, comme si la réponse était dans l’esprit seul du lecteur. En trame de fond, un discours écologique, urgent sur l’avenir de notre planète, une alerte appuyée sur le dérèglement climatique.
Roman d’une spirale infernale, transporté par la maîtrise totale de l’autrice, il est une immersion dans les milieux anticonformistes, contestant une règle imposée. Mais doit-on sacrifier notre propre liberté pour suivre un mouvement ? Ce mouvement apporte-t-il une réponse satisfaisante à nos attentes, à celles de la nature ? Telles sont les questions principales et l’un des enjeux de ce texte énigmatique sans concession.
Les éditions le Réalgar mettent en lumière des récits toujours soignés, souvent originaux, ce roman de Édith MASSON ne faillit nullement à la ligne éditoriale. La couverture très réussie représente une peinture de Odilon REDON, « Armor », de 1891, et elle accompagne parfaitement ce livre qui vient tout juste de sortir.
https://lerealgar-editions.fr/
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire