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mercredi 17 septembre 2025

Michaël GLÜCK « Vint le grand récit »

 


Nous faisons tout d’abord connaissance avec la Récitante qui recoud, tisse les souvenirs, c’est-à-dire qu’elle reconstitue la mémoire à partir de témoignages. Elle est une passeuse de vies en même temps que clameuse de cicatrices grâce aux histoires dramatiques entendues. Elle conte avec force des itinéraires de migrants, d’exilés du sud méditerranéen ou de l’ouest de l’Europe, échoués en France pas vraiment par hasard. Car après la guerre le pays a dû reconstruire et a fait venir une forte main d’œuvre immigrée.

La Récitante laisse à son tour la parole à d’autres, qui ont vécu ces années, certains ont du mal à témoigner mais « les silences sont aussi parts du récit ». Alors tout en se taisant en partie, ils livrent des bribes de vie, parlent d’un monde englouti, de barres H.L.M. qui ne sont plus, ils se souvienne de l’autrefois. Ou bien ils se souviennent des récits que leurs aïeuls leur en ont faits.

En une poésie polyphonique et épique en deux mouvements, Michaël Glück, auteur fort prolifique, impose un rythme tortueux, brutal, comme maritime par grand vent. Deuxième mouvement, et sont convoqués Leïla et Nour, deux rescapés. L’auteur nous nous rappelle que nous sommes toutes et tous une partie, si infime soit-elle, du livre du grand récit dont justement ce « Vint le grand récit » est une porte d’accès tandis que le grand livre continue d’être écrit. Deuxième mouvement dédié à la poésie, l’actuelle comme celle du passé, à l’époque où les « poèmes étaient ces choses qui avaient échappé à la vigilance des miniatures espionnes ».

Et si les barres H.L.M. ont disparu pour laisser place à la vie nouvelle délimitée par un nouvel espace et peuplée par de nouvelles personnes, subsistent des cages de jeux desquelles s’emparent les enfants malgré le nouveau monde, celui des technologies broyeuses, de l’entre-soi.

« Vint le grand récit » est un poème-bourrasque sur l’accueil des migrants, la dignité, l’entraide. C’est aussi une nostalgie, une mélancolie d’une ère révolue. La langue est choyée et tempétueuse, les images fortes du passé se bousculent, cherchent à se faire une place. « Ta voix est remontée du fond du puits, alors j’ai entendu les paroles d’avant, celles qui, entre deux silences, disaient les jeux de ce terrain devenu vague entre deux grands ensembles devenus collines, buttes de gravats, de poussière. Qui sait si, en fouillant un peu, on ne retrouverait pas les livres et les cahiers de l’enfant que tu étais ».

Poème passeur de mémoire, « Vint le grand récit » décoiffe par le ton, aucun mot n’étant choisi au hasard mais s’inscrivant bien dans un tout nommé Mémoire. Si le texte recoud, c’est bien en créant des mailles à l’endroit et à l’envers entre le passé et le présent, pour livrer une mappemonde-mosaïque instable mais sincère des racines aux nouvelles générations. Il s’inscrit dans une veine de transmission écrite qui doit passer initialement par l’oralité. Mais il est peut-être avant tout la nécessité de la mémoire filiale.

« Vint le grand récit » vient de sortir dans la collection L’orpiment des éditions Le Réalgar et se pare d’une superbe couverture à rabats qui donne envie de le choyer.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

3 commentaires:

  1. J'ai l'impression que l'espace urbain occupe dans ce titre aussi une place importante (?)

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    1. Tout à fait, les barres HLM en sont un symbole architectural et sociétal.

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